C’est une sincère émotion qui se faufile dans les rues de Pau (Pyrénées-Atlantiques), vendredi. Cyril, père de famille de 36 ans, chef du service au Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) géré par l’association Isard-Cos, a été tué dans la matinée sous les coups de couteau d’un homme «venu demander des papiers». Dans cette ville où la douceur de vivre est un art et le centrisme une religion, le geste mortel d’un Soudanais contre un salarié du secteur social, totalement engagé dans l’accueil des demandeurs d’asile, teinte de tristesse la douceur de cette fin d’hiver.
Vers 9 heures, un homme déjà connu de la structure s’est présenté dans les locaux administratifs de l’association, cours Léon-Bérard, dans le nord de la ville. Une quinzaine de salariés sont présents dans les locaux. L’homme, âgé de 40 ans, se présente sans faire preuve d’agressivité et est accueilli par le responsable du service. Il a été accompagné par la structure entre 2015 et 2017, puis il est sorti du dispositif. Il a eu affaire à la justice depuis, impliqué dans une rixe à l’arme blanche. Il a été condamné et a purgé une peine de prison.
Sept coups de couteau
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui s’est déplacé vendredi en fin de journée à Pau pour rencontrer l’équipe de la structure, a indiqué que l’homme avait été convoqué à deux reprises pour se faire signifier son exclusion du territoire, pour cause de condamnation judiciaire. Convocations auxquelles il ne s’est pas présenté. C’est peut-être autour de cette obligation de quitter le territoire que la discussion à huis clos avec Cyril s’est envenimée. Les autres salariés présents dans les locaux se sont interposés après avoir entendu des cris. Ils ont immobilisé le suspect dans un bureau voisin et porté secours à Cyril, qui a reçu sept coups de couteau dans l’abdomen. Mais celui-ci a succombé un peu plus tard, malgré l’arrivée très rapide des secours. Le suspect a été interpellé sans difficulté par les forces de l’ordre. L’homme a été placé en garde à vue et l’enquête confiée à la sûreté départementale de la police de Pau.
François Bayrou, le maire de la ville, a dit ressentir «un choc très important». «Ce drame touche précisément une association qui joue discrètement un grand rôle pour que la tension ne monte pas et que les choses se passent au mieux pour les familles qui ont besoin d’être accueillies», a-t-il déclaré. Raphaël Diaz, directeur général de la fondation Cos – dont les 3 000 collaborateurs accompagnent 4 000 familles sur le territoire – est particulièrement ému. «Depuis soixante-dix-sept ans, c’est la première fois que nous connaissons quelque chose de comparable, dit le président. Nos personnels sont formés pour conduire les échanges dans le calme et la sérénité. L’entretien conduit ce matin par Cyril fait partie des rendez-vous que nous avons tous les jours.»
«Sous le choc»
Salarié de l’association depuis 2015, «Cyril était un travailleur social expérimenté qui savait gérer les situations délicates», raconte Philippe Ellias, directeur du site à Pau. Ses collègues sont bouleversés. Un accompagnement psychologique a été mis en place et une organisation spécifique va être appliquée dès lundi pour que le travail d’accueil se poursuive. «Toute la famille du service public de la solidarité est sous le choc», a déclaré Gérald Darmanin après avoir rencontré les équipes de la structure vendredi soir. Sur le trottoir d’en face, Gérard, militant syndical dans un mouvement de retraités, craint la récupération politique : «Cela va apporter de l’eau au moulin des extrémistes qui manifestent dans les Pyrénées contre les arrivées de migrants.» Eleonor, 53 ans, est d’origine congolaise. Il habite juste en face du centre où le drame s’est noué. C’est précisément cette association qui l’a accompagné pour son intégration en 2019, en passant une qualification de cariste. C’est la même association qui lui a trouvé ce logement, dont le balcon fait face au foyer. «J’ai vu le suspect sortir entouré des policiers. Il était très calme. Je n’ai jamais vu ça, témoigne l’homme, qui connaissait la victime. Je l’ai encore salué hier, sur son vélo avec sa veste rouge. Ils font un travail formidable. Il était comme un frère pour moi.»