En résumé :
- Le jugement dans l’affaire du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 est tombé aux environs de 13 heures ce jeudi. L’ex-président de la République a été reconnu coupable d’association de malfaiteurs, mais relaxé pour les faits de corruption.
- Nicolas Sarkozy a été condamné à 5 ans de prison avec mandat de dépôt à effet différé, assorti de l’exécution provisoire, à 100 000 euros d’amende et à la privation des droits civils et civiques. Pour la première fois de l’histoire de la République, un ex-président ira derrière les barreaux : il est convoqué le 13 octobre par le Parquet national financier pour connaître la date de son incarcération.
- Claude Guéant et Brice Hortefeux ont été reconnus coupables de corruption passive pour l’un et d’association de malfaiteurs pour l’autre. Ils ont été condamnés respectivement à six ans et deux ans de prison. Eric Woerth, trésorier de la campagne en 2007, a été relaxé. Alexandre Djouhri a été reconnu partiellement coupable, et condamné à 6 ans de prison et 3 millions d’euros d’amende.
Quel paradoxe, quel retournement historique : la droite, le parti de l’ordre et des institutions, le camp qui se revendique des «honnêtes gens», des inlassables promoteurs de la «tolérance zéro» et de la rigueur de la loi, est en train, depuis l’énoncé de la peine de cinq ans de prison ferme à l’encontre de Nicolas Sarkozy, de développer, comme souvent ces dernières années, un discours victimaire qui pointe l’institution judiciaire. La droite, dans la foulée du numéro brillamment théâtral de l’ancien chef de l’Etat commentant sa condamnation à la sortie de la salle d’audience du palais de justice de Paris, multiplie les attaques contre la justice afin de la décrédibiliser. Lire le billet.
Certains s’en réjouissent. Pas nous. La condamnation jeudi 25 septembre de Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison avec mandat de dépôt différé a sans doute provoqué ici ou là des réactions de joie, une bonne blague ici, des éclats de rire là, à tout le moins des sourires. [...] Réactions à courte vue. Car il faut prendre la mesure de cette décision de justice, qui constitue une première dans l’histoire de la Ve République. Elle vient confirmer, dans un moment de fragilité démocratique, à quel point le mal dont souffre aujourd’hui la politique française est ancien, et donc profond. Lire notre édito.
«Sarkozy n’est pas un malfaiteur, il n’a pas la tête à ça.» «Il est condamné pour quelle affaire déjà ? Il y en a tellement…» Dans son ancien fief des Hauts-de-Seine, la condamnation de l’ex-président à cinq ans de prison, assortie d’une prochaine incarcération, a été accueillie avec virulence… ou désintérêt. Notre reportage
Un «délit contre la nation, l’Etat, la République». Quelques mots graves adressés par la présidente du tribunal à Nicolas Sarkozy, debout à la barre et dont le dos est scruté par une salle d’audience pleine à craquer, et l’ancien chef de l’Etat comprend : c’est son tour de se retrouver derrière les barreaux. Quelques minutes auparavant, un financier impliqué dans les montages occultes, Wahib Nacer, et son ami Alexandre Djouhri, un sulfureux homme d’affaires, avaient déjà été raccompagnés à leur place encadrés par les policiers sous le coup d’un mandat de dépôt. La salle a frémi. Le récit complet.
Invitée de LCI, Marine Le Pen saisit l’occasion de la condamnation de Nicolas Sarkozy pour rappeler qu’elle a, comme l’ancien président, fait l’objet d’une exécution provisoire de peine. «Problème majeur» pour la cheffe des députés RN, les juges faisant selon elle «fi du double degré de juridiction» qui permet en France à tout un chacun d’être présumé innocent tant qu’il n’a pas été définitivement condamné. Et la triple candidate à la présidentielle de pointer du doigt le fait que les juges ont pris, dans son affaire et dans celle de son rival politique, «des décisions qui s’appliquent avant que les magistrats d’appel ne prennent leur décision». Une «rupture avec les grands principes de notre droit», estime la dirigeante d’extrême droite. La chose n’est pourtant pas nouvelle, si l’on se penche sur les statistiques du ministère de la Justice : au 1er juillet 2025, 22 822 détenus sur les 84 951 que comptaient la France étaient en attente d’un jugement, y compris des détenus qui avaient fait appel et donc, présumés innocents.
Présent au jugement après avoir fait le tribunal buissonnier pendant le procès, et jamais avare d’un mot pour défendre son père - il s’était servi de son passage sur LCI pour dire «avec toute la certitude du monde que [s]on père est innocent» - Louis Sarkozy s’est fendu d’un post sur Instagram pour défendre son père, tout juste condamné. Dans un court texte au lyrisme incertain assortissant une photo où il figure, enfant, dans les bras de son père, le «Napobaby» écrit : «Heureux sont les fils de pères braves, de pères grands, bons, justes et tendres. Heureux sont les fils d’hommes honnêtes et droits. Quelle chance d’être français. Quelle chance d’avoir un tel père.»
L’ancien ministre, fidèle collaborateur et ami de Nicolas Sarkozy est «en colère» sur le plateau de BFM, au soir de sa condamnation pour association de malfaiteurs. Tandis que l’ancien président a écopé de cinq ans de prison, Brice Hortefeux à une peine aménageable de deux ans. pour avoir agi comme intermédiaire et organisé des transferts de fond public. Mais il se défend encore, et annonce faire appel de la décision, tout comme l’ex-chef de l’Etat. «Il n’y a pas de preuve de financement, parce qu’il n’y a pas de financement.» Il assure par ailleurs avoir été victime d’un «traquenard», d’un «piège» et d’un «guet-apens lorsqu’il a rencontré le beau-frère de Mouammar Khadafi».
Comment ont réagi la droite et l’extrême droite à la condamnation de Nicolas Sarkozy ? Sans surprise : assez mal. Rappelant que le condamné avait fait appel et était dès lors encore présumé innocent, ou critiquant l’usage de l’exécution provisoire de peine (quand elle est pourtant majoritairement utilisée dans les décisions de justice), les fidèles de LR ou du RN ont assez vertement critiqué le jugement qui envoie Nicolas Sarkozy en prison.
Le mandat de dépôt à effet différé signifie-t-il que Nicolas Sarkozy ira en prison ? Que signifie l’exécution provisoire dont a été assortie la condamnation qui frappe l’ancien président ? Quels sont les recours dont ils disposent après avoir essuyé cette peine de cinq ans de prison ? Libération répondent aux questions procédurales qui se posent après le coup de tonnerre judiciaire de la journée.
Détonateur de l’affaire sur des soupçons de financement libyen et régulièrement mis en cause par Nicolas Sarkozy, Mediapart défend son «travail indépendant». L’ancien président condamné à cinq ans de prison a affirmé devant la presse que le document publié par le site d’investigation en 2012, à l’origine de cette procédure (une note en arabe sur un accord pour appuyer la campagne du candidat à l’Elysée) est «un faux» aux yeux du tribunal. Un propos «étonnant» et «sans effet sur le jugement», estime la présidente du média Carine Fouteau, qui préfère retenir que «cette décision de justice consacre l’importance d’une presse indépendante des pouvoirs».
Le député insoumis des Hauts-de-Seine Aurélien Saintoul annonce sur X qu’il a saisi l’Arcom après une séquence sur la chaîne bolloréenne Cnews pendant laquelle un bandeau affichait «NICOLAS SARKOZY FACE A UN PROCES POLITIQUE». Le bandeau, que Libération a pu observer, était affiché pendant l’interview de Pierre-Henri Dumont, secrétaire général adjoint des Républicains, sans guillemet. «J’ai déjà saisi l’Arcom pour des faits similaires, dans le cadre du procès de Marine Le Pen», écrit le député dans un communiqué. Selon lui, à l’époque, l’Arcom lui avait répondu qu’elle avait «rappelé CNews à l’ordre». Sans succès, apparemment.
Voilà une autre conséquence du jugement du tribunal correctionnel de Paris : le fonds souverain libyen, le LAIP, victime de détournement de fonds publics, a obtenu 8,3 millions d’euros de dommages et intérêts. Le LAIP avait acheté, par l’intermédiaire français Alexandre Djouhri, une villa à Mougins (Alpes-Maritimes) à hauteur de 10,14 millions d’euros. Elle en valait 1,8 million, selon une expertise judiciaire. L’achat avait été décidé par le dirigeant du fonds souverain, Bechir Saleh, alors dignitaire du régime déchu de Mouammar Kadhafi. Les quatre prévenus condamnés dans ce volet du dossier (Bechir Saleh, Alexandre Djouhri, le financier Wahib Nacer et de l’homme d’affaires saoudien Khalid Bugshan) devront s’acquitter solidairement des dommages et intérêts. Le versement n’est pas exécutoire.
Le RN tape sur l’exécution provisoire des peines, Les Républicains versent dans le complotisme... La condamnation de Nicolas Sarkozy a provoqué un coup de tonnerre et moult répliques à la droite et l’extrême droite de l’échiquier politique. L’eurodéputé LR François-Xavier Bellamy pointe un «jugement politique» ; Bruno Retailleau délaisse sa casquette de ministre démissionnaire pour redire son «soutien» et son «amitié» à l’ancien président... Un florilège de réactions à retrouver dans notre article.
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Ironie du calendrier : le jour même de la lecture du jugement du tribunal de Paris, l’homme d’affaires franco-libanais et principal accusateur dans ce dossier a été inhumé dans son village natal de Baakline, au Liban. Loin, bien loin du tohu-bohu suscité par la condamnation de Nicolas Sarkozy. Ziad Takieddine étant mort mardi à 75 ans, le tribunal a constaté l’extinction de l’action publique à son encontre. Il avait déjà été condamné à cinq ans de prison ferme dans le volet financier de la tentaculaire affaire Karachi, mais le Liban n’extrade pas ses ressortissants.
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Le président du Sénat prend lui aussi part à l’opération de bouclier en faveur de Nicolas Sarkozy, ancien leader de son parti. Et comme Marine Le Pen et d’autres responsables politiques de droite et d’extrême droite, il cible l’exécution provisoire de sa condamnation : «il y a un questionnement grandissant [à ce sujet], a-t-il publié sur X. Je le partage.» Et comme Bruno Retailleau avant lui, il insiste sur la présomption d’innocence du premier président de la Ve République condamné à une peine de prison ferme, «jusqu’au prononcé d’une décision définitive».
Un geste comme une insignifiante vengeance symbolique ? L’ex-première dame s’est permis une incartade à la fin de l’audience, à l’encontre de Mediapart. A côté de son époux condamné à cinq ans de prison ferme et devant une forêt de micros et de caméras, la chanteuse a saisi la bonnette du micro bien visible du média en ligne et l’a jetée à terre avant de se retirer. Quand on sait que Mediapart est à l’origine de la plupart des révélations concernant l’affaire du financement libyen...
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Après Nicolas Sarkozy, le ministère public fait appel de la condamnation à cinq ans d’emprisonnement prononcée ce jeudi. Cette décision du Parquet national financier est quasi-automatique lorsqu’un condamné fait appel : sans cela, l’ex-président ne pourrait pas être condamné à une peine supérieure à celle qu’il reçue en première instance (le PNF avait requis sept ans de prison). La cour d’appel de Paris bénéficiera donc de toute liberté d’appréciation de la peine de l’ancien chef de l’Etat, s’il le déclare coupable.
Alors que la droite s’offusque, la gauche ironise. «Il l’a, finalement, son nouveau quinquennat Sarkozy», s’amuse sur X le porte-parole du groupe écolo de l’Assemblée nationale, Benjamin Lucas-Lundy, avant de dénoncer la remise en cause de l’autorité judiciaire par les «amis de Nicolas Sarkozy». L’eurodéputée insoumise Manon Aubry a, elle, choisi de retourner la célèbre formule de l’ancien président : «Vous en avez assez de cette bande de racailles ? On va vous en débarrasser !»
L’ancien président est convoqué le 13 octobre devant le Parquet national financier et saura à cette date quand il ira en prison. Il devrait être incarcéré ensuite rapidement, dans un «délai relativement proche» a affirmé une source judiciaire à l’AFP. Etant donné que deux hommes sont déjà en détention depuis aujourd’hui pour la même affaire, les magistrats veulent éviter un laps de temps trop grand entre eux, a expliqué une source judiciaire à Libé.