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Procès

Eric Dupond-Moretti renvoyé devant la Cour de justice de la République, une première pour un ministre en exercice

Ce lundi matin, la Cour de justice de la République a ordonné le renvoi du garde des Sceaux, devant cette juridiction d’exception, pour «prise illégale d’intérêts». Ses avocats ont annoncé se pourvoir en cassation contre cette décision inédite pour un ministre en poste.
Le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, lors d'une conférence de presse à Paris, le 21 septembre 2020. (Albert Facelly/Libération)
publié le 3 octobre 2022 à 9h36

La décision était attendue, mais fait figure de séisme. L’actuel garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, fait l’objet d’un renvoi devant la Cour de justice de la République (CJR) pour «prise illégale d’intérêts», a-t-on appris ce lundi. Pour la première fois, un ministre est poursuivi pénalement alors qu’il est encore en poste devant cette juridiction d’exception – la seule habilitée à juger les membres d’un gouvernement pour des délits ou crimes commis dans l’exercice de leur fonction. Une décision jamais vue, d’autant qu’il s’agit du ministre de la Justice lui-même. Si, depuis sa création en 1993, huit membres de gouvernement ont comparu devant la CJR, aucun ne l’a été alors qu’il exerçait encore ses fonctions. De fait, la juridiction est régulièrement critiquée pour la lenteur de ses procédures et la mansuétude de ses jugements.

Ce lundi matin, Eric Dupond-Moretti était convoqué, plus d’un an après sa mise en examen pour «prise illégale d’intérêts», devant les trois magistrats de la commission d’instruction de la CJR. Si le garde des Sceaux n’était pas présent, ses conseils Christophe Ingrain et Rémi Lorrain se sont vu signifier le renvoi de leur client, en vue d’un procès, devant la formation de jugement de la juridiction. Ils ont aussitôt annoncé déposer un pourvoi en cassation contre cet arrêt de renvoi, soulignant auprès de l’AFP qu’il appartenait «désormais à l’assemblée plénière de la Cour de cassation de se saisir de ce dossier» avec une nouvelle décision sur l’ensemble de la procédure, «et de se prononcer notamment sur les nombreuses irrégularités qui ont émaillé ce dossier depuis deux ans».

Enquêtes administratives

En mai, le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, plus haut parquetier de France, avait requis le renvoi d’Eric Dupond-Moretti en raison, selon lui, de «charges suffisantes» permettant de le juger. Pour rappel, il est reproché à l’ex-ténor du barreau, devenu ministre en juillet 2020, d’avoir usé de ses prérogatives à des fins privées : en réglant ses comptes avec des magistrats qu’il avait dans le viseur alors qu’il portait la robe. Une fois place Vendôme, le garde des Sceaux fraîchement nommé avait en effet diligenté des enquêtes administratives à l’encontre d’un ex-juge d’instruction à Monaco, Edouard Levrault, mais aussi contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF).

Hasard du calendrier, leurs audiences disciplinaires se sont tenues en ce mois de septembre devant le Conseil supérieur de la magistrature. Et ont laissé le sentiment d’une certaine débandade du côté de Matignon, qui a repris le suivi de ces dossiers en octobre 2020 après le déport du ministre – sonnant comme un aveu implicite de conflit d’intérêts. Le juge Levrault en est sorti blanchi, l’organe disciplinaire de la profession estimant qu’«aucun manquement disciplinaire ne saurait lui être reproché». Quant au vice-procureur Patrice Amar et l’ex-patronne du PNF, Eliane Houlette, aucune sanction n’a été requise contre eux.

Anticipant cette issue défavorable, le ministre avait dit dès la semaine dernière sa «quasi-assurance» d’être renvoyé devant la CJR et avait réaffirmé tenir sa légitimité du seul président de la République. «J’y défendrai mes droits comme tout justiciable», avait-il déclaré lors d’une conférence de presse. Depuis le signalement et les dépôts de plaintes de l’association Anticor et des trois syndicats de la magistrature à l’origine de cette procédure, le garde des Sceaux a toujours nié les accusations de conflit d’intérêts, affirmant avoir suivi les conseils de son administration et être victime d’une vendetta des organisations professionnelles. «Pour nous, la difficulté est la même depuis le début de sa nomination : nous avons malheureusement un ministre qui a abusé de ses prérogatives pour régler des comptes personnels. Ce renvoi devant la Cour de justice de la République est la prise de conscience qu’il y a un problème», a réagi sobrement Céline Parisot, la présidente de l’Union syndicale des magistrats, majoritaire dans la profession.