Le délit retenu était pourtant formel : signer tous azimuts des contrats de consulting sans appel d’offres au-delà du seuil de 400 000 euros. Il aurait pu être envisagé sous l’angle d’un éventuel trafic d’influence, voire d’emploi fictif, à la suite d’un signalement initial en ce sens de la Cour des comptes relayé par le Parquet national financier (PNF). Mais le tribunal correctionnel de Paris en a jugé autrement, en prononçant ce lundi 30 septembre après-midi la relaxe pure et simple d’Henri Proglio, 75 ans, patron d’EDF entre 2009 et 2014 après avoir été celui de Veolia (2002-2010), pour absence d’intention frauduleuse. Tout comme onze autres prévenus ayant bénéficié de ces contrats litigieux.
A lire aussi
En cause, cette manie de recruter toute une armada de consultants – communicants, journalistes, anciens magistrats et autres influenceurs – dans une logique de stratégie, de lobbying ou de renseignement. Bref, une gestion un poil parano complotiste de l’exercice du pouvoir au sein d’une grande entreprise. Cobénéficiaires de la relaxe générale, Jean-Marie Messier, ancien patron déchu de Vivendi reconverti dans le conseil (1,4 million d’euros d’honoraires facturés à EDF), Loïk Le Floch-Prigent, ex-PDG d’Elf dont le casier judiciaire n’est plus vierge (1,3 million) ou encore le criminologue Alain Bauer, ayant facturé 650 000 euros une étude portant sur la «criminalisation de l’économie globalisée» aux vastes contours. Ou encore d’anciens journalistes comme Jean de Belot (ex-rédacteur en chef des Echos puis directeur de la rédaction du Figaro) et Laïd Sammari (ex-enquêteur chevronné à L’Est Républicain).
Selon l’accusation, il y aurait eu ainsi un total de 36 millions d’euros de contrats douteux. Le PNF avait requis deux ans de prison avec sursis et 200 000 euros d’amende contre Proglio, ainsi que 1 million d’euros d’amende contre EDF, poursuivie en tant que personne morale. Aux enquêteurs, Henri Proglio avait rétorqué qu’une quarantaine de ce genre de cas limite au sein d’une grande boîte comme EDF, sur cinq ans, serait banal : «Certains contrats spécifiques étaient liés à l’expérience ou la connaissance particulière de la personne concernée», citant l’exemple d’un consultant «travaillant avec l’ensemble du CAC 40». C’est donc «en l’absence d’une politique contractuelle délibérément contraire à la réglementation» que le tribunal a prononcé une relaxe générale.
Certains influenceurs, comme le publicitaire Stéphane Fouks ou la communicante Anne Meaux, vont sûrement se mordre les doigts d’avoir signé au préalable une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, afin de s’épargner un procès en place publique, moyennant une amende de 150 000 euros. Tempête sous les crânes judiciaires… A moins qu’un éventuel appel du parquet, qui avait requis à l’audience deux ans de prison avec sursis contre Henri Proglio, ne permette de refaire le match. En attendant, ce dernier a pu pavoiser à la sortie de la salle d’audience : «Je suis enfin reconnu innocent de cette espèce de déballage malsain qui m’a sali pendant des années.»