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Féminicide de Chahinez : le deuxième jour d’audience dévoile «une méthodologie de mise à mort séquencée»

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A la seconde étape du procès de Mounir B., accusé d’avoir brûlé vive son épouse à Mérignac le 4 mai 2021, la question de la préméditation est revenue comme un boomerang.
A la cour d’assises de Gironde, à Bordeaux, mardi 25 mars. Me Julien Plouton, avocat des parents de Chahinez Daoud. (Rodolphe Escher/Libération)
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié le 25 mars 2025 à 21h20

Mounir B. a-t-il prémédité la mort de Chahinez Daoud ? Au deuxième jour de son procès, devant la cour d’assises de la Gironde à Bordeaux, mardi 25 mars, la question revient comme un boomerang. L’ancien maçon est accusé d’avoir blessé son épouse, avec qui il était en instance de divorce, de deux coups de fusil dans les cuisses, puis de l’avoir brûlée vive en pleine rue. Si lors de la garde à vue, il reconnaît l’avoir tuée «pour la punir», par la suite, il conteste l’intention d’homicide et la préméditation, précisant avoir voulu lui «laisser des marques» pour se venger de son infidélité.

A la barre, un policier de la BAC est le premier à s’avancer. Il l’assure : le jour des faits, Mounir B. est relativement «calme» lorsqu’il lui intime de poser ses armes à terre. «Il m’a paru réfléchi, maître de lui. Y compris quand il nous a parlé de sa mission : tuer sa femme. Il a répété qu’il a fait ce qu’il avait prévu de faire.» Un détail retient son attention : un bout de tissu entourant l’un des deux briquets est retrouvé sur l’accusé. «Pour moi, il servait à faire une mèche. C’est certain, Monsieur B. avait un plan», renchérit le policier.

«Que je reste avec lui ou que je me sépare, je suis morte»

L’expertise toxicologique révélera qu’il n’était pas alcoolisé, ni sous l’emprise de la drogue ou de médicaments. Dans le box des accusés, le principal intéressé fait une intervention éclair, qui laisse coite l’assistance. «Il fait quoi ce monsieur ? Et la police, est-ce qu’elle se garait devant chez moi tous les soirs ? Cette affaire aurait dû être gérée par la gendarmerie», affirme-t-il. «Monsieur B., vous ne pouvez pas poser de questions au témoin», l’arrête la présidente, Marie-Noëlle Billaud.

Le directeur d’enquête prend la parole et déroule la chronologie des faits. L’occasion de revenir sur quelques témoignages d’amies de Chahinez. Elles décrivent la peur dans laquelle la jeune femme vivait, l’emprise de Mounir B. Comme ce jour d’automne 2019 où il lui a interdit d’aller à la fête de l’école car elle n’avait pas la tenue vestimentaire adaptée. La présidente lit la déposition d’une proche : «Elle m’a confié : “De toute façon, que je reste avec lui ou que je me sépare, je suis morte.” Il l’a prévenue qu’il se ferait passer pour un fou s’il la tuait, pour diminuer sa peine.»

Durant l’instruction, à la question : quand vous est venue l’idée de vous en prendre à votre épouse ? Mounir B. déclare spontanément : «Vendredi». Soit quatre jours avant la mort de Chahinez Daoud, et le même vendredi où il a acheté la camionnette qui lui a servi à l’espionner. Dans l’une des quatre vidéos retrouvées sur son téléphone portable, filmées le jour du meurtre, on le voit pointer le canon du fusil en direction de la maison. Mounir B. parle en arabe, et dit : «Voilà mes frères, celle qui ne remercie pas mon seigneur.»

«Son portable bornait quasi quotidiennement au domicile de Madame Daoud quelques jours avant sa mort», note la présidente. Entre octobre 2020 et mai 2021, 1 039 appels sortants sont comptabilisés vers Chahinez. «Environ huit appels de Monsieur par jour», poursuit la magistrate.

«C’est la douleur qui vous ferait sauter du dernier étage»

Au moment où les photos de la jeune femme calcinée s’apprêtent à être projetées, l’ambiance devient pesante. Les parents de Chahinez quittent la pièce. Mounir B. ne détourne pas les yeux. Le reste du temps, il reste stoïque, même s’il lui arrive de lever les yeux au ciel quand des violences sur son ex-épouse sont relatées. Plus tard, un expert légiste décrit «une méthodologie de mise à mort séquencée». «Ce n’est pas une action opportuniste. Il y a d’abord une volonté de la laisser en vie après lui avoir tiré dessus. Elle ne peut plus se lever, elle est à la merci de l’auteur. C’est à ce moment-là qu’il déverse le liquide et lui met feu. On peut parler de caractère organisé.» L’expert conclut que Chahinez a souffert avant de mourir. «Sur l’échelle de la douleur de 1 à 7, la combustion c’est 7 sur 7. C’est la douleur qui vous ferait sauter du dernier étage.»

Interrogé, Mounir B devient aussi loquace que la veille. «J’ai entendu tellement de choses, beaucoup de mensonges, des rajouts. Je vais essayer d’expliquer la situation. La police s’est acharnée.» Sur la camionnette, il jure qu’elle lui a servi à voir ses enfants et non pas à guetter Chahinez. «En vrai de vrai, la vraie vérité, je l’ai suppliée de me laisser entrer», répond-t-il en reconnaissant avoir tiré sur sa femme. «Et l’essence ?» le relance la magistrate. «C’est mon corps et pas mon esprit.» Dans son box, il s’agite. «Ça vous fait quoi d’avoir vu le corps de votre épouse décédée ?» «Madame je vais vous dire la vraie vérité. J’ai rien ressenti, je me sens pas coupable. La culpabilité, je ne la ressens même pas.»