De la peur, du dégoût et de l’étonnement. C’est le mélange d’émotions qui traversent les riverains, ce dimanche 5 novembre, au lendemain de l’agression d’une jeune femme de confession juive dans le IIIe arrondissement de Lyon. Dans son récit aux enquêteurs, la victime a déclaré que quelqu’un avait sonné à sa porte samedi en début d’après-midi, et qu’il lui avait porté deux coups de couteau à l’abdomen quand elle avait ouvert. Elle a décrit un agresseur vêtu de sombre, le visage partiellement masqué, qui a pris la fuite après les faits. Dimanche après-midi, aucune interpellation n’avait eu lieu. Selon une source policière, une croix gammée a aussi été découverte taguée à proximité de la porte du domicile de la victime, mais il n’était «pas possible» à ce stade de dater son inscription.
D’abord hospitalisée, la jeune femme a pu quitter l’hôpital ce dimanche pour rentrer chez elle, a indiqué son avocat, Me Stéphane Draï, qui a aussi précisé que celle-ci traversait actuellement un «divorce». Le parquet de Lyon a ouvert une enquête pour «tentative de meurtre» et n’exclut à ce stade aucune piste, dont celle d’un possible «mobile antisémite». La jeune femme avait notamment placé près de sa porte une mezouzah, un objet de culte juif.
«Pris pour cible»
Ce dimanche matin, au pied du vaste ensemble d’habitations haut de huit étages où a eu lieu l’agression, Marie, 57 ans, répète : «C’est dégueulasse ! C’est dégueulasse !» Lorsqu’elle a appris la nouvelle, cette résidente du quartier depuis 2016 s’est enfermée chez elle. «On ne sait jamais. Peut-être que l’agresseur s’en prend à tout le monde», justifie-t-elle. Ce matin, elle est sortie pour promener son chien mais se dit inquiète : «J’espère qu’ils vont le retrouver.»
Même sentiment chez ce couple qui vient d’emménager. «On l’a appris sur les réseaux. Ça fait super peur. On était sous le choc», racontent Emeline et Mathieu, 28 et 29 ans, qui préfèrent témoigner sous un prénom d’emprunt. Mathieu explique qu’une partie de sa famille, du côté de son père, est de confession juive. «Je ne me sens pas concerné directement, je ne me suis jamais senti juif et mon nom de famille ne le montre pas. Mais dès que des personnes ont un nom qui reflète la religion juive, ils sont pris pour cible», dit-il en évoquant les récents tags antisémites, comme ceux inscrits sur la façade d’une école publique du VIe arrondissement de Lyon le week-end précédent.
Hormis les quelques caméras de télévision, inhabituellement plantées devant l’immeuble, rien ne semble troubler le calme de ce quartier résidentiel, à une poignée de minutes à pied de la gare Part-Dieu. Une zone qui n’est pas connue pour abriter une importante communauté juive, celle-ci étant surtout implantée à Villeurbanne.
D’autres habitants ne sont pas encore au courant et ouvrent des grands yeux quand on leur raconte les faits. Comme ces deux hommes de 54 et 57 ans qui boivent un café, la clope au bec au tabac du coin : «On ne poignarde pas un innocent comme ça. C’est injuste !», réagi le premier à chaud. «Il faut voir si c’est vraiment par rapport à sa religion. Ça peut-être n’importe quoi», avance le second.
«Inquiétude à son paroxysme»
Du côté des instances juives de la région, on appelle, pour l’heure, «tant à la raison qu’à la prudence». «Il incombe à l’enquête de nous dire s’il y a une circonstance aggravante d’antisémitisme», indique Richard Zelmati, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) d’Auvergne-Rhône-Alpes.
Mais au-delà des conclusions des investigations, cet événement a déjà des conséquences profondes au sein de la communauté juive lyonnaise, marquée par une inquiétude grandissante depuis le 7 octobre et l’attaque terroriste du Hamas sur Israël. «Les gens ont peur, explique Richard Zelmati. J’ai des parents autour de moi qui me demandent comment ils vont pouvoir amener leurs enfants à l’école.» Il estime que l’agression cristallise une «inquiétude à son paroxysme, qui est encore montée d’un cran» depuis samedi : «Les gens se cachent. Ils modifient leur comportement en enlevant leur kippa, en décrochant la mezouzah de leur porte, en enlevant leur nom des boîtes aux lettres.»
Depuis le 7 octobre, «857 actes antisémites» ont été recensés, soit «autant en trois semaines» que sur «toute l’année écoulée», a indiqué le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin mardi 31 octobre lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale. Le ministre a également indiqué que 425 personnes avaient été interpellées et «27 placées en centre de rétention administrative». Près de 6 000 signalements ont par ailleurs été effectués sur la plateforme Pharos.
Mis à jour à 15h50 avec le reportage à Lyon.