Arrestations arbitraires, interpellations violentes, procès-verbaux incomplets voire défectueux, cellules indignes et fouilles en sous-vêtements… La Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) publie ce mercredi un rapport alertant sur les conditions de détention des personnes placées en garde à vue dans le cadre de la contestation contre la réforme des retraites, dont près de deux tiers ont été relâchés sans poursuites. Dans ce document de trente pages, la CGLPL s’inquiète de voir que des principes fondamentaux du droit français et européen ne sont pas respectés.
Pour Dominique Simonnot, à la tête de l’institution depuis 2020, les autorités chercheraient ainsi à «en faire baver» aux manifestants. Elle rappelle néanmoins que ces conditions de détention désastreuses sont celles de la plupart des détenus en France tout au long de l’année.
Pourquoi ce rapport maintenant ? L’état catastrophique des gardes à vue pendant ce mouvement social sort-il de l’ordinaire ?
Pas du tout et c’est cela qui est grave. Nous sommes simplement allés faire notre travail, c’est-à-dire contrôler ce qu’il se passe dans les commissariats. Evidemment, c’est conjoncturel car il y a ce mouvement social. Il y a énormément de personnes placées en garde à vue et énormément de protestations. Nous sommes allés nous rendre compte nous-mêmes de la situation.
Quels sont vos rapports avec les policiers dans les commissariats ?
On est plutôt bien reçu. Certains fonctionnaires ne cachent pas qu’ils préféreraient que nous ne soyons pas là. Il y a quelques réflexions… Mais c’est la règle du jeu, on va dire. De toute façon, ils ne peuvent pas nous sortir. Nous avons accès à tout. Mais, justement, beaucoup d’officiers de police judiciaire (OPJ) se plaignent eux-mêmes de la situation.
C’est-à-dire ?
Beaucoup nous expliquent appeler les agents interpellateurs afin de connaître les raisons d’une arrestation, mais ces derniers sont incapables de donner une explication. Les OPJ nous disent eux-mêmes : «On ne sait pas.» Ils sont embêtés. Ils ne veulent pas enfoncer leurs collègues mais ils voient bien qu’il y a un problème. On a appris que certains policiers expliquaient qu’ils avaient l’ordre d’interpeller des personnes présentes dans une zone, sans avoir de raison. Cela m’a rappelé 2019 et les gilets jaunes, quand le parquet de Paris avait fait circuler une note qui préconisait de garder les personnes interpellées vingt-quatre heures même si elles n’avaient rien fait. Cela se reproduit, manifestement.
Dans votre rapport, vous notez qu’une personne a été interpellée parce qu’elle avait «des cheveux noirs»…
Oui, ça ne veut rien dire ! C’est absurde. Ce serait presque drôle si cela ne correspondait pas à une réalité inquiétante. C’est très grave, c’est un long glissement qui devient insupportable.
Peut-on soupçonner une volonté d’intimider les manifestants ?
Une garde à vue, c’est intimidant. En plus, on attrape rarement les bons mais ceux qui courent le moins vite… Pour la large majorité des personnes que nous avons vues, il n’y avait aucune preuve. Alors, peut-être que certains avaient fait quelque chose, mais il n’y avait pas de preuve. Imaginez : 80 % de taux de classements sans suite par le procureur ! Et le reste ressort libre en comparution immédiate.
Ces gardes à vue à la chaîne sont-elles légales ?
Ce sont des sortes d’arrestations préventives, arbitraires. Si on arrête les gens le samedi, on est «tranquille» jusqu’au lundi. C’est illégal. Nous avons échangé avec des gardés à vue qui se plaignaient d’avoir été malmenés pendant leur interpellation. Je veux bien entendre que des policiers soient fatigués, qu’ils n’en peuvent plus de se faire insulter pendant des heures. Mais c’est contre-productif de brutaliser les gens, sans compter le fait que c’est illégal.
On ne peut pas ne pas soupçonner une certaine volonté d’en faire baver aux gens. Que l’on n’arrive pas en bon état devant le juge. Que l’on ait une allure de semi-coupable. C’est ce que les juges appelaient dans le temps «attendrir la viande».
C’est une banalisation de l’enfermement, finalement.
Tout à fait. Cela devient presque normal de passer deux jours au trou pour avoir manifesté. Et c’est une idée qu’il faut mettre en parallèle avec l’état catastrophique des prisons. Cela diffère d’un commissariat à l’autre mais certaines sont immondes. On sent la pisse, la merde… Les chasses d’eau ne fonctionnent pas ou bien elles s’activent de dehors. Il faut avoir le cœur bien accroché.
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On s’en soucie aujourd’hui parce que ce sont des manifestants qui ne sont pas habitués à voir des cellules, d’ailleurs la majorité vit leur première garde à vue. Mais ces conditions sont les mêmes toute l’année pour tous les détenus.
Le droit européen est-il respecté ?
Pas du tout. C’est pour cela que nous publions cette lettre que nous avons envoyée au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Il faut que les dérives s’arrêtent sinon, je ne sais pas où l’on va. Nous avons donné quinze jours au ministre pour nous répondre, nous sommes restés sans nouvelles. J’imagine qu’il a autre chose à faire, n’est-ce pas ?
Mise à jour : à 19 h 30 avec la précision sur le nombre de personnes en garde à vue relâchées sans poursuites.