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Terrorisme

Gérald Darmanin épingle déjà la politique migratoire après l’attentat islamiste d’Arras

Le ministre de l’Intérieur a adressé un télégramme aux préfets leur demandant d’«éloigner du territoire national tout ressortissant étranger représentant une menace». Des consignes qui ne semblent pas toutes conformes au droit.
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, ce 16 octobre. (Yoan Valat/AFP)
publié le 16 octobre 2023 à 20h46

Soixante-douze heures après l’attentat d’Arras, dont le principal suspect, un Russe de 20 ans fiché S était toujours en garde à vue ce lundi soir, Gérald Darmanin met la pression sur la préfectorale. Dans un télégramme envoyé aux préfets (et à l’ensemble de la presse suivant le ministère de l’Intérieur), le ministre de l’Intérieur commande aux représentants de l’Etat dans les départements d’organiser, mardi, deux réunions. L’une avec les «groupes d’évaluation départementaux» (GED), composés des représentants des différentes administrations du ministère (police, renseignement, gendarmerie, etc.) et de l’autorité judiciaire (parquet). L’autre avec les «cellules de prévention de la radicalisation et d’accompagnement des familles» (CPRAF), censées suivre les personnes en voie de radicalisation et aider leurs proches.

«Des procédures qui prennent du temps»

Derrière les acronymes, une certaine politique migratoire se dessine. Il est demandé aux préfets d’«éloigner du territoire national tout ressortissant étranger signalé par les services de renseignement représentant une menace pour l’ordre public». Concrètement, il s’agit pour les GED d’«examiner la situation administrative de tous les ressortissants étrangers suivis par les services de renseignement au titre de l’islamisme radical en engageant systématiquement des procédures d’éloignement-expulsion pour tous les étrangers irréguliers mais aussi réguliers».

Combien de personnes pourraient être concernées ? En fait, peu. En conférence de presse lundi, Gérald Darmanin comptabilisait quelque 5 000 personnes «actives» inscrites au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). N’y figurent en revanche que 1 411 étrangers en situation irrégulière, dont «seulement 489 sur le territoire national», détaille le ministre. Et parmi elles, près de 300 sont actuellement privées de liberté.

Pour les étrangers en situation régulière et considérés comme dangereux, l’Intérieur souhaite leur retirer leur titre de séjour, attribué par l’autorité administrative, ou demander à l’Office de protection des réfugiés (Ofpra) de réviser la protection dont ils bénéficient. «Ce sont des procédures qui prennent du temps», contextualise le professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes, Serge Slama : «Par exemple, le retrait de la carte de résident, qui fait l’objet d’une procédure contradictoire, est souvent accompagné d’une obligation de quitter le territoire, qu’il est aussi possible de contester.»

«Dans l’absolu, c’est discriminatoire»

Le télégramme enjoint aux préfets de se focaliser sur «les ressortissants russes». Pour autant, depuis l’invasion de l’Ukraine, Moscou ne délivre plus de laissez-passer consulaire. Rendant donc impossible, depuis mars 2022, toute expulsion vers la Russie. Malgré ce gel diplomatique, Gérald Darmanin a annoncé qu’il adresserait «une liste» des nationaux russes «actifs [et] suivis par les services de renseignement» au Kremlin. Soit «une vingtaine» de personnes, actuellement détenues en centre de rétention administrative ou assignées à résidence, toujours d’après le ministre («une quarantaine» d’autres ressortissants russes étant actuellement incarcérés).

Quant aux CPRAF, il leur est prioritairement demandé de se pencher sur «les étrangers mineurs signalés, en particulier ceux issus du Caucase». Serge Slama analyse : «Dans l’absolu, c’est discriminatoire, mais étant donné le contexte, Gérald Darmanin n’aura pas de mal à le défendre.» Le professeur de droit public voit «un effet levier» dans ce télégramme, et dans les prises de position tonitruantes de Gérald Darmanin : «Des consignes qui semblent non conformes au droit sont données aux préfets, en espérant qu’ils les appliquent, quitte à se confronter à la justice administrative, car il y aura sûrement des recours.» D’éventuelles décisions favorables aux préfets permettraient alors d’écrire une jurisprudence répressive du droit existant.