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Récits

Harcèlement, agressions sexuelles, viols : les témoignages contre PPDA

Violences sexuelles : elles accusent PPDAdossier
Dénonçant le comportement abusif de l’ancien présentateur de TF1, huit femmes racontent à «Libération» les agressions qu’elles disent avoir subi de sa part. Toutes décrivent le même mode opératoire.
(Montage Libération avec Jérôme Bonnet)
publié le 8 novembre 2021 à 18h03

Huit femmes, dont sept à visage découvert, prennent la parole dans Libération pour raconter des faits de viol, d’agression sexuelle ou de harcèlement sexuel qu’elles disent avoir subi de la part de Patrick Poivre d’Arvor. Elles avaient déjà livré ces témoignages à la police au cours de l’enquête préliminaire ouverte en février 2021 contre l’ex-journaliste de TF1. Le dossier a été classé sans suite par le parquet de Nanterre en juin, la plupart des faits décrits, commis pendant près d’une quarantaine d’années, ne pouvant être poursuivis en raison de la prescription. Elles s’expriment aujourd’hui en leur nom pour dénoncer le comportement abusif de l’ancien présentateur vedette du 20 heures et décrire le mode opératoire qu’il avait mis en place.


Stéphanie Khayat, journaliste, 51 ans : «Je ne l’entends pas s’approcher»

«PPDA ferme la porte. On échange quelques mots puis il prend un appel, je reste debout et je me tourne vers sa grande bibliothèque pour me donner une contenance. Je ne l’entends pas s’approcher. Il me retourne brusquement face à lui, m’oblige à me baisser et enfonce son sexe dans ma bouche. Je ne suis pas là depuis dix minutes. Ça a été brusque, soudain, rapide. Je pesais 30 kilos, j’étais anorexique, il était impossible de ne pas le voir. On n’impose pas une fellation à qui que ce soit mais mettre de force quelque chose dans la bouche d’une anorexique, lui faire avaler du sperme, c’est encore plus violent que violent. Je ne me souviens pas de la suite. Je ne me souviens pas de ce qu’il m’a dit, de la manière dont j’ai quitté son bureau. Je sais juste que j’ai été me rincer la bouche dans les toilettes.»

Cécile Delarue, journaliste et autrice, 43 ans : «Il faut absolument que j’évite cet homme»

«Ce qui me choque le plus est le regard amusé de mes chefs. Je suis humiliée d’être jaugée comme la prochaine qui passera à la casserole. Aucun d’entre eux ne prendra quelques minutes pour m’indiquer un comportement à tenir. A partir de cet épisode, je passe mon temps à fuir PPDA. Dès que je le vois dans un couloir, je fais demi-tour. Je ne prends plus l’ascenseur mais les escaliers. Je comprends que si je veux fonctionner dans cette rédaction, il faut absolument que j’évite cet homme. Donc, très vite, je prends la décision de ne plus aller aux conférences de rédaction où tout se décide. […] De temps en temps, un prénom féminin résonne via un système de haut-parleur. L’élue est appelée dans le bureau de PPDA. Et toute la rédaction de bruisser sur ce qu’il va lui arriver. Tout le monde est au courant et personne n’a conscience de rien. On sait et on ne sait pas.»

Hélène Devynck, scénariste, 54 ans : «Des années à me défaire de la chape de dégoût»

«Je me souviens d’une immobilité physique et d’un affolement des pensées, d’avoir cherché mentalement de toutes mes forces une solution pour sortir de là, sans la trouver. J’ai mis des années à me défaire de la chape de dégoût et de honte, des années à me dire que j’aurais pu crier, me débattre, frapper, courir. Après, je me rappelle un silence, et tout de suite me demander comment j’allais gérer cela, puis que cela n’aurait pas d’impact sur ma vie. Vaine promesse. Je ne me rappelle pas les jours qui ont suivi. Très peu de temps après, j’annonce à PPDA que je veux arrêter notre collaboration. Il change de visage. Ensuite, il fait le tour de la rédaction pour dire que je suis “nulle”

Cécile Thimoreau, 56 ans, professionnelle du médico-social : «Oh non, Cécile, pas toi !»

«Je rejoins Poivre après le 20 heures dans son bureau. Son assistante se désole : “Oh non, Cécile, pas toi !” Je lui dis de ne pas s’inquiéter. Elle fait la moue : “Tu ne le connais pas.” Première déconvenue, il ne veut pas aller au restaurant. “Je n’ai pas la force d’affronter les gens. Est-ce que ça t’ennuie si on dîne chez moi ?” Je me méfie. Je répète mes conditions. Il acquiesce. C’est un dîner sans alcool très sympa où nous parlons littérature. Puis, je m’aperçois que son regard change brusquement. Ce n’est plus le même homme. Je ne me sens plus en sécurité, j’annonce mon départ et, dans le couloir qui mène à son entrée, Patrick me saute dessus. C’était rapide et suppliant. “S’il te plaît, j’en ai besoin.” J’ai ses mains partout. Je me débats et il est physiquement plus fort que moi. Je lui lance : “Demain, si tu ne me lâches pas, toute la rédaction est au courant.” A ces mots, il disparaît.»

«Chloé», journaliste, 46 ans : «En une poignée de secondes…»

«En 2003, je suis appelée par l’interphone dans le bureau de Poivre à propos d’un sujet. J’étais sur mon lieu de travail, on était au milieu de la journée, il était inconcevable que je puisse être en danger. Je m’y rends. La porte était ouverte. On commence à parler de mon reportage. Et là, d’un seul coup, il m’interrompt : “Vous vous souvenez la toute première fois, quand vous êtes entrée derrière moi, pour me montrer une infographie ? Vous avez collé vos seins à mon dos.” J’ai bredouillé : “Non, je ne m’en souviens pas.” Il s’est soudain levé très vite, a fait le tour de son bureau et m’a renversée dessus tandis que j’étais sidérée. En une poignée de secondes, sa langue était dans ma bouche, une de ses mains dans mon soutien-gorge, les doigts de l’autre dans mon sexe. La porte était ouverte. Dans les bureaux tout à côté, il y avait ses deux secrétaires et la rédactrice en chef.»

Muriel Reus, dirigeante de société, 63 ans : «Il n’y a aucune séduction»

«PPDA ne parle toujours pas, il se lève et ferme la porte à clé. Stupéfaite, je n’ai pas le temps de réagir qu’il est déjà en face de moi, il essaie de m’embrasser, il défait sa ceinture et baisse son pantalon. Il ne m’a pas demandé comment j’ai trouvé le JT, il ne m’a pas offert un verre. Cela se passe en un quart de seconde. Il n’y a aucune séduction. C’est une tentative mécanique de commettre un acte sexuel. J’ai un instant de sidération et je lui dis : “Patrick, qu’est-ce que tu fais ? Tu connais mes relations avec la direction de TF1.” Cela le stoppe et je sors du bureau. Il remonte son pantalon et m’accompagne à l’ascenseur.»

Aude Darlet, employée dans une compagnie aérienne, 48 ans : «Si tout le monde savait, pourquoi ça continuait ?»

«J’ai raconté cette histoire à tout le monde, je n’ai jamais lâché, y compris à des journalistes quand je faisais la promotion de mon livre. Elle n’est jamais sortie. L’omerta est-elle due à la puissance de cet homme ? L’agression sexuelle est-elle considérée comme insignifiante ? J’ai découvert bien plus tard que les questions étaient les mêmes pour toutes et que nos réponses importaient peu. Autant la manipulation que l’agression m’ont révoltée, mais aussi la légèreté avec laquelle mon récit était pris. Il suscitait des rires et des blagues. J’ai été très blessée qu’on ne tienne pas compte de moi. Un ami journaliste à l’époque m’a appris peu de temps après que tout le monde savait, que c’était un processus bien rodé où autrices, étudiantes, journalistes, toutes sortes de femmes étaient invitées au JT avant de passer dans son bureau. Si tout le savait, pourquoi est-ce que cela continuait ?»

Emmanuelle Dancourt, journaliste, 47 ans : «Un an de harcèlement, de SMS baveux»

«PPDA n’a pas lâché. Un an de harcèlement, de SMS baveux, d’appels tardifs et de messages vocaux poisseux, que j’ai tous effacés pour oublier, pour avancer. Mes parents s’en souviennent. Au téléphone, il m’appelait “ma petite nonne”. Mon côté mère de famille catholique et provinciale qui dormait à Paris dans des couvents hôteliers l’excitait beaucoup. J’ai réussi à le faire décrocher quand j’ai menacé de tout raconter à son associé, Dominique Ambiel, qui produisait l’émission le Bateau livre (France 5) dans laquelle j’étais chroniqueuse. PPDA a immédiatement arrêté ce harcèlement.»