L’émancipation de son épouse lui était odieuse, il l’a tuée par «seize coups de couteau», neuf jours après sa sortie de prison où il avait purgé une peine pour violences conjugales. Le féminicide s’est produit en novembre 2021, à Epinay-sur-Seine : presque trois ans plus tard, la cour d’assises de Seine-Saint-Denis a condamné Khalid Fahem, 54 ans, à 28 ans de réclusion criminelle.
Le quinquagénaire a été déclaré coupable du meurtre de sa conjointe Bouchra Bouali au terme de plus de quatre heures de délibérations. La cour a pris en compte «l’intention de la tuer» que l’accusé avait exprimé et «la violence extrême» de l’acte, commis avec leurs deux enfants «non loin».
L’affaire avait bouleversé la justice, qui n’avait pas su empêcher ce crime annoncé. Car à l’époque, cet ex-physionomiste de discothèque venait de bénéficier d’une libération anticipée de trois semaines. Or la victime n’en avait pas été avertie, alors qu’elle bénéficiait de protocoles de protection. «La mort de Bouchra Bouali a bouleversé l’ensemble de la communauté judiciaire, tout particulièrement les magistrats du parquet de Bobigny, et au premier rang ceux qui la connaissaient parce qu’ils la protégeaient», a concédé l’avocate générale Marina Kieny dans son réquisitoire.
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Cette gérante d’un commerce de prêt-à-porter vivait dans une peur extrême. Elle «respirait», pourtant, tant qu’elle croyait son mari encore derrière les barreaux. Le parquet reconnaît l’erreur de n’avoir pas averti la mère de 44 ans de la sortie de son conjoint – ce qu’un décret a rendu obligatoire en France après ce crime retentissant.
Est-ce que l’en informer aurait pour autant suffi à éviter ce crime, commis par un homme aux projets meurtriers fasciné par les couteaux ? «Tout ce qui l’intéresse dans la vie, c’est l’argent, son image et tuer ma mère. C’est les trois intérêts de sa vie», a décrit sa fille aînée de 17 ans, qui discutait au téléphone avec sa mère au moment du meurtre.
Rupture
Il faut dire que Khalid Fahem ne supportait pas l’affranchissement de Bouchra Bouali. Lui, qui ne savait ni lire ni écrire, l’avait vue faire seule l’acquisition du domicile conjugal en 2014, puis celui d’un magasin de prêt-à-porter en 2018 où il n’était que simple employé. Or en ce printemps 2021, elle lui annonce leur rupture. C’est la bascule – schéma hélas habituel de nombreux féminicides. «Il n’a pas tué par amour. Il a tué parce que pour lui, c’est le jour où le dernier domino tombe […]. Ce jour où son image va définitivement se fissurer, celle du père, du travailleur», a analysé son avocate Agathe Grenouillet dans sa plaidoirie.
Alors il menace sa femme de mort, lui dit qu’il va «l’égorger» au couteau. La quadragénaire porte plainte. Khalid Fahem est incarcéré. Inquiet du profil du mis en cause, qui a toutefois un casier judiciaire vierge, le parquet de Bobigny et une association spécialisée la dotent d’un téléphone grave danger, qui permet d’alerter rapidement les forces de l’ordre par un canal dédié.
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Il n’empêche, Bouchra Bouali vit aux aguets. Dans la rue, elle se retourne sans cesse. S’équipe de taser et bombe lacrymogène. Installe à son domicile une caméra de vidéosurveillance et change la serrure. «Elle a même acheté un gilet pare-balles. J’étais choquée avec mes sœurs. Mais elle a dit : “C’est un lâche, il peut me poignarder dans le dos”», a sangloté à la barre sa grande sœur Rahma Bouali.
«La tuer et retourner en prison»
Dans sa cellule, Khalid Fahem rumine. «Il avait le projet de tuer sa femme. Il n’avait aucun autre projet. Juste la tuer et retourner en prison», a rapporté un de ses anciens codétenus à Fleury-Mérogis, entendu en visioconférence. Le 17 novembre 2021, il sort. Le soir du 26 novembre, à l’abri du froid et de la pluie dans une voiture de location, le quinquagénaire attend son épouse au pied de la tour où elle habite. Durant ces deux heures à patienter, il voit leurs deux filles de 5 et 14 ans rentrer de l’école, aiguise le couteau de cuisine qu’il vient d’acheter en grande surface, grignote des bonbons. Les coups seront d’une telle violence que la lame du couteau s’en déforme. «J’ai pas fait exprès […] les coups sont partis comme ça», a-t-il éludé dans le box. Il n’a pas été capable d’expliquer son geste.
Un féminicide survient tous les trois jours en France en moyenne. Selon le ministère de la Justice, il y a eu 94 de ces crimes en 2023, 118 en 2022.