Costume gris, visage émacié, Martin Doussau est professeur de philosophie à la cité scolaire Gambetta-Carnot d’Arras. Ce vendredi 13 octobre, il a assisté à l’agression au couteau qui s’est déroulé dans l’établissement. Tout l’après-midi, sur le parvis non loin de la dépouille de son collègue de français recouverte d’une couverture, il a répondu à la presse, racontant la scène encore et encore. Comme pour se délester du poids de la peur. Et dire sa colère. Libération a recueilli son témoignage.
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«J’ai vu la dernière partie de l’agression. Je descendais dans la cour centrale, quand j’ai vu l’agresseur attaquer une personne assez âgée, le chef cuisinier de l’établissement. Il était armé de deux couteaux. Je suis intervenu en criant quelque chose comme «Qu’est-ce que vous faites, arrêtez». Il s’est retourné soudainement, a crié «Vous êtes prof d’histoire-géo ? !» C’était entre l’interrogation et l’affirmation. C’est là où je me suis dit que c’était autre chose qu’un déséquilibré, qu’il y avait quelque chose de politique dans cette agression. Le fait qu’il pense que je puisse être un prof d’histoire et que cela fasse de moi une cible. Un autre membre du lycée, Enzo, m’a tiré en arrière en me disant «il est dangereux». Il nous a poursuivis, on s’est réfugiés derrière des portes vitrées, on les a tenues à deux ou trois, il y avait des élèves derrière nous. Il n’a pas réussi à pousser la porte, est retourné agresser le chef cuisinier à terre. Je ne sais pas ce qui s’est vraiment passé, il était en train de se calmer, je pense que le chef cuisinier lui a parlé. Il ne lui a pas donné le coup fatal. Après, la police est intervenue, très professionnelle, sans coups de feu. Ils avaient une espèce de Taser, une fléchette avec un fil qui l’a immobilisée.
«Quand je suis intervenu dans la cour, je ne savais pas qu’il avait déjà tué un collègue devant l’établissement, d’un coup de couteau à la carotide. C’est quand j’ai vu mes autres collègues, les mains rouges de sang, qui n’avaient pas réussi à arrêter l’hémorragie, que je l’ai appris. Mais honnêtement, quand on voit la lâcheté d’un gars assez costaud, pas très grand, mais jeune, face à une personne d’une cinquantaine d’années, qui avait du sang sur les bras, et restait comme ça devant lui, sans pouvoir bouger, on ne peut pas ne rien faire. Je regrette de ne pas avoir réussi à le désarmer. Il a frappé aveuglément les gens devant lui, sans qu’il y ait aucun rapport avec le lycée. Un établissement qui est très calme, sans tension entre les élèves, sans tension entre les élèves et les professeurs. On n’a rien vu venir. Il voulait frapper quelque chose de la République, et certains professeurs, comme les professeurs d’histoire, représenteraient pour lui des valeurs qui méritaient d’être combattues.»