Un drame effroyable et un défaut d’alerte à éclaircir. Une fillette de 3 ans habitant Conches-sur-Ouche (Eure) est morte dans la nuit du samedi 23 au dimanche 24 septembre portant «de multiples hématomes d’âges différents» sur le corps. Sa mère et son beau-père ont été mis en examen pour meurtre sur mineur de 15 ans et incarcérés et la directrice de son école maternelle a été suspendue. Le point sur ce que l’on sait des faits et des suites judiciaires et administratives.
Le soir des faits
Les secours ont été alertés dans la nuit de samedi à dimanche par les parents de la fillette, âgée de 3 ans. Transportée en urgence de Conches-sur-Ouche jusqu’au CHU de Rouen, elle est décédée après son arrivée à 1 h 53 du matin. Elle portait de multiples hématomes d’âges différents sur «le visage, les quatre membres, le thorax, le dos, le pubis», a précisé le procureur de la République d’Evreux, Rémi Coutin, en conférence de presse mardi 26 septembre. Le rapport de l’autopsie de la petite fille, réalisée mardi matin, n’était pas encore disponible au moment de cette prise de parole.
Le soir du crime, la maison où vivait le couple se trouvait «dans le plus grand désordre et le frère aîné, âgé de 6 ans, présent sur place, présentait également des traces de violences», d’après Rémi Coutin. Le garçonnet a été confié aux services de l’aide sociale à l’enfance.
«On est dans un drame de l’isolement, du mal-logement, de l’addiction. Ils vivaient dans le dénuement le plus total», a déclaré Jérôme Pasco, maire de Conches-sur-Ouche, une commune de 5 000 habitants.
Des violences répétées
Le procureur a raconté comment, «dans un mécanisme assez abject mais classique de ce type de violences, le couple, négatif à l’alcool et aux stupéfiants, a commencé par expliquer que la fillette se blessait toute seule lors de crises de colère et de chutes».
Le beau-père de 29 ans, sans profession, a par la suite reconnu s’être déjà livré par le passé à «des bousculades, des étranglements jusqu’à convulsion et plusieurs pertes de connaissance de l’enfant», toujours selon le parquet. Ces violences ont débuté «à l’hiver 2022-23, deux ou trois mois après la mise en ménage et le décès de son propre père [le père du mis en cause, ndlr]», a décrit le procureur.
La mère, 27 ans, également sans emploi, a pour sa part admis avoir donné «des gifles» à sa fille, dont le père vit dans l’Eure et bénéficiait d’un droit de visite tous les quinze jours.
L’enquête judiciaire
Le couple a été mis en examen mardi pour meurtre sur mineur de 15 ans et violences. Placés en détention provisoire, ils encourent la réclusion criminelle à perpétuité. La mère est également poursuivie pour privation de soins et non-dénonciation. Le couple était connu de la justice : elle a été condamnée en 2020 pour une affaire de stupéfiants, son compagnon était uniquement connu pour des infractions routières.
L’enquête a été confiée à la gendarmerie, pour éclaircir les responsabilités respectives de la mère et du beau-père mais aussi des tiers qui auraient pu avoir connaissance des violences sans les dénoncer.
Reportage
Une amie du couple avait notamment «vu l’enfant plusieurs jours avant les faits et a souhaité faire un signalement au 119», mais «cet appel n’aurait pas abouti» faute d’opérateurs, a déclaré le procureur lors de sa conférence de presse.
«Le juge d’instruction va s’interroger sur le fait que la situation de cette petite fille, victime de violences régulières, n’a pas été signalée. Ni le parquet, ni la gendarmerie ni les services de l’aide sociale à l’enfance n’avaient été informés», a précisé Rémi Coutin.
L’enquête administrative
Selon le procureur d’Evreux, l’enfant «n’aurait pas été scolarisée la semaine précédant le drame». La directrice de l’école maternelle, où la fillette était scolarisée en moyenne section, a été suspendue «à titre conservatoire», a annoncé mardi le rectorat de l’académie de Normandie. Le rectorat a précisé «diligenter une enquête administrative afin de faire la lumière sur la chaîne de signalement des faits par les services de l’Education nationale».
Le Syndicat des directrices et directeurs d’école (S2dé) a dénoncé ce mercredi la suspension de la directrice. Dans un communiqué intitulé L’Opprobre, le Syndicat des directrices et des directeurs d’école de l’Education nationale (S2dé), regrette que le directeur ou la directrice d’école soit « le fusible idéal pour endosser toutes les responsabilités, tous les maux de notre pays ». « Nous sommes responsables de tout en subissant toutes les défaillances du système sans le moindre moyen : aucune vie scolaire pour appeler les familles des élèves absents chaque matin, aucun secrétariat pour gérer les appels téléphoniques ou les emails en temps réel, aucun personnel présent dans les couloirs le temps des classes, des directeurs, pour 80% d’entre eux, qui ont une double tâche : enseigner et diriger », poursuit le communiqué.
« L’enquête nous établira certes la vérité et les responsabilités de chacun mais tout le monde devrait être coupable: les voisins qui entendaient les nombreuses disputes selon leurs propres déclarations, la mairie de Conches-en-Ouche où habitait cette famille, les commerçants où ils faisaient leurs achats, la personne qui aurait appelé le 119 et l’interlocuteur qui aurait dit de rappeler… », liste le syndicat, qui dit avoir écrit au ministère de l’Education nationale pour demander « en urgence une entrevue ».
Le maire de Conches-en-Ouche a assuré de son côté, sur BFTMV, que la directrice est «une excellente professionnelle». «C’est une responsabilité collective, on est tous en échec face à ce drame. Nous, les services sociaux, l’ensemble des personnes qui veillent à la protection de l’enfance, je crois que malheureusement quand la folie voit les choses en grand de la sorte on est tous dépassés, on est tous bouleversés dans nos certitudes», a dit encore Jérôme Pasco.
Mis à jour à 13h10 : réaction du syndicat des directrices et directeurs d’écoles.