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Mesures

Justice : que contient le projet de loi adopté par le Parlement ?

Un renfort de 1 500 magistrats, 18 000 nouvelles places de prison, mais aussi l’activation à distance d’appareils électroniques de suspects… Les deux textes d’Eric Dupond-Moretti ont été définitivement adoptés cette semaine par les députés et sénateurs.
Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, en visite à la prison de Caen (Calvados), le 6 octobre 2023. (LOU BENOIST/AFP)
publié le 12 octobre 2023 à 17h41

Les deux textes portés par le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, dans le prolongement de la vaste concertation des Etats généraux de la justice, ont été adoptés définitivement. Par le Sénat, mercredi soir (à 233 voix contre 18), après l’avoir été par l’Assemblée nationale, la veille. Le garde des Sceaux a salué «un vote décisif pour l’avenir de la justice» et «un message de reconnaissance et d’espérance» envoyé aux professionnels du droit, alors qu’il s’apprête à batailler début novembre sur un tout autre front, son procès devant la Cour de justice de la République pour «prise illégale d’intérêts» – ce qu’il conteste. Dans les deux chambres, le gouvernement a reçu le soutien des élus Les Républicains et Rassemblement national, tandis que les socialistes se sont abstenus.

Outre la simplification de la procédure pénale, l’extension des compétences des tribunaux de commerce ou la création de pôles spécialisés contre les violences intrafamiliales dans toutes les juridictions, le projet de loi fixe notamment la hausse budgétaire de la justice pour les prochaines années, avec un cap de 11 milliards d’euros en 2027. Un budget «historique», selon le terme prisé par le ministre, qui servira notamment à l’embauche massive et très attendue de 10 000 personnels, dont 1 500 magistrats et 1 800 greffiers (contre 1 500 initialement, avant l’intervention des sénateurs). L’objectif martelé par le garde des Sceaux est de «réduire par deux» les délais judiciaires dont souffrent actuellement les justiciables.

L’objectif fort ambitieux du nombre de places de prison

Avec les greffiers, mobilisés pour une revalorisation de leur statut, «le dialogue social se poursuit encore de manière constructive», a affirmé Eric Dupond-Moretti. Il «devrait aboutir très prochainement, avec la création de greffiers de catégorie A qui représenteront une part très significative du corps et une revalorisation salariale des greffiers de catégorie B», a-t-il assuré.

En juillet, après les émeutes liées à la mort du jeune Nahel, tué par un policier, LR avait, au cours des débats à l’Assemblée nationale, affiché de plus belle sa fermeté sur les questions régaliennes et obtenu la promesse d’un ajout de 3 000 places de prison aux 15 000 déjà voulues par le gouvernement d’ici la fin du quinquennat. Selon la chancellerie, 4 300 places seront opérationnelles fin 2023. Toutefois, l’objectif d’un total de 78 000 places en 2027 paraît fort ambitieux au vu des difficultés pour construire de nouveaux lieux de détention.

La gauche a dénoncé pour sa part «une obsession du tout-carcéral» dans ce texte qui ne propose pas de solution à la surpopulation carcérale chronique, comme l’a regretté la sénatrice socialiste Marie-Pierre de La Gontrie, dénonçant un texte «entaché de manques», notamment sur la «régulation carcérale». Du côté du syndicat de la magistrature (classé à gauche), contacté par Libération, «on se réjouit des moyens supplémentaires donnés à l’institution, mais on déplore le manque de courage politique du gouvernement qui n’a pas défendu la régulation carcérale, malgré le consensus de toutes les institutions et nombreuses organisations expertes de la question carcérale, et on regrette l’orientation liberticide du volet pénal avec certaines dispositions inquiétantes qui étendent les moyens de surveillance».

L’une des dispositions les plus contestées est en effet, selon l’article 3 de ce texte, la possibilité d’activer à distance des téléphones «mouchards» dans certaines enquêtes. Cette mesure permettra de filmer ou d’enregistrer à leur insu et «en temps réel», via leur téléphone portable et appareils connectés, des personnes visées par des enquêtes pour des crimes ou délits punis d’au moins cinq ans de prison en matière de terrorisme, de grande délinquance ou de criminalité organisée. Des dizaines d’affaires seraient concernées chaque année. En seront toutefois exclus les appareils des magistrats, avocats, parlementaires, journalistes et médecins.

«On est loin du totalitarisme de 1984», le roman de George Orwell, a balayé le garde des Sceaux face aux craintes de la gauche et des défenseurs des libertés publiques. La technique, déjà utilisée par les services de renseignement, sera désormais encadrée par le contrôle et l’approbation d’un juge, a-t-il fait valoir. Mais c’est une «pente très dangereuse», une «intrusion dans la vie privée», une «surveillance généralisée», s’est alarmée la députée LFI Andrée Taurinya.