«Je le regrette mais, au vu du déni de justice, je le comprends.» Francis Szpiner, avocat de la sœur de Sarah Halimi, sexagénaire juive tuée en 2017 à Paris, a annoncé mercredi vouloir «saisir la justice israélienne d’une plainte à l’encontre de [Kobili T.] au nom d’Esther Lekover, sœur de la victime». Cette annonce répond à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 avril qui a entériné le caractère antisémite du crime mais confirmé l’impossibilité de traduire en justice le meurtrier, compte tenu de l’abolition de son discernement lors des faits. Cette décision a suscité une très forte émotion dans les deux pays, accompagnée d’un vif débat sur la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles psychiatriques sur fond de consommation de drogues en France.
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L’Etat d’Israël plus dur sur le discernement
Si la famille se lance dans cette nouvelle procédure, c’est parce que la loi pénale d’Israël peut s’appliquer à des crimes antisémites commis à l’étranger et dénoncés par un citoyen israélien, ce qui est le cas de la sœur de Sarah Halimi. Une pratique qui, précise Francis Szpiner à Libération, n’a absolument rien d’exceptionnel : «Si vous suivez les affaires de terrorisme, vous remarquerez que la justice française se saisit en cas de victimes françaises, ceci même à l’étranger.»
Avocate et docteure en droit international, Debborah Abitbol entre un peu plus dans les détails : «Il existe dans la loi pénale [de ce pays] la possibilité d’ouvrir une procédure par le biais du procureur israélien concernant des infractions à caractère antisémite commises sur une personne de confession juive à l’étranger.» Et d’après la magistrate, en exercice aux deux barreaux parisien et israélien, l’Etat d’Israël s’est doté un système législatif «très répressif» sur le discernement. «Les cas exceptionnels d’abolition totale du discernement sont très rares et ne peuvent concerner que des personnes ayant consommé sans le savoir une substance, entraînant la commission d’un crime», explique-t-elle. La loi pénale israélienne partirait ainsi du principe qu’il existe presque toujours au moins un début de discernement. «On peut raisonnablement penser qu’Israël va considérer que [Kobili T.], lequel s’est mis volontairement dans une situation d’usage de stupéfiants, sera pénalement responsable, et ce sans expertise psychiatrique», conclut l’avocate.
En théorie, pas d’extradition en vue
Reste que Kobili T. ne sera probablement pas extradé vers Israël. Si la procédure se poursuit, elle se fera par contumace, soit en l’absence du prévenu. «A supposer que le droit israélien admette la responsabilité pénale de [Kobili T.], la France refusera son extradition et respectera le principe de non-extradition des ressortissants nationaux, une coutume pratiquée par tous les Etats», développe le professeur en droit privé et en sciences criminelles François Rousseau.
Pour Debborah Abitbol, il existe pourtant une convention qui permettrait à l’Etat hébreu de demander à l’Etat français l’exécution d’une éventuelle peine… en France. «Il existe néanmoins un principe qui dit qu’on ne peut juger deux fois une personne pour les mêmes faits, admet l’avocate. Mais [Kobili T.] n’a finalement pas été jugé en France.» Ceci sans compter les éventuelles pressions diplomatiques qui pourraient entourer un nouveau procès extrêmement médiatique.
Un rassemblement prévu ce dimanche
Depuis la décision de la Cour de cassation de ne pas juger Kobili T. en raison d’une irresponsabilité pénale, l’émotion est vive dans le pays, et associations et personnalités politiques se sont emparées du sujet, estimant la justice soit trop laxiste, soit mal faite. Emmanuel Macron lui-même a déclaré que «décider de prendre des stupéfiants et devenir alors “comme fou” ne devrait pas à [ses] yeux supprimer votre responsabilité pénale». Le président de la République a par la suite demandé une évolution législative sur ce sujet. Organisé par la Licra, un rassemblement est prévu ce dimanche à Paris «pour la mémoire de Sarah Halimi et contre la haine antisémite».