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Violences

Laïcité, menaces et agressions envers les profs : «L’école de la République est en danger», selon une commission d’enquête

Les sénateurs François-Noël Buffet (LR) et Laurent Lafon (Union centriste) ont présenté ce mercredi 6 mars les conclusions du rapport de la commission d’enquête sur le signalement et le traitement des pressions, des menaces et agressions dont les profs sont victimes.
Conflans-Sainte-Honorine, le 17 novembre 2020, un mois après l'assassinat de Samuel Paty. (Albert FACELLY/Photo Albert Facelly pour Libér)
publié le 6 mars 2024 à 18h25

L’agression d’une enseignante à Angoulême le 18 janvier dernier. Une professeure empoisonnée au détergent par un élève dans les Yvelines. Dominique Bernard. Samuel Paty. Les sénateurs François-Noël Buffet (LR) et Laurent Lafon (Union centriste) donnaient ce mercredi 6 mars une conférence de presse afin de présenter les conclusions du rapport de la commission d’enquête sur le signalement et le traitement des pressions, des menaces et agressions dont les enseignants sont victimes.

D’abord, le constat. «Sans appel», résume Laurent Lafon, commençant son propos par une phrase choc : «L’école de la République est en danger.» Pour le sénateur LR, un des grands défis à mener à moyen terme sera désormais de «défendre et de promouvoir la laïcité à la française». Selon le rapport, au-delà des élèves, le concept même de laïcité est désormais remis en cause par certains enseignants. Les rapporteurs notent à ce sujet une fracture générationnelle, «les plus anciens abordant la laïcité de façon classique», «certains, plus jeunes, ayant un regard plus anglo-saxon sur la question».

Les enseignants feraient aujourd’hui de plus en plus face à des remises en cause de la laïcité. «Plus que les matières sensibles, comme l’histoire ou les SVT, décrit Laurent Lafon, des professeurs de littérature, de SES, de musique font face à des contestations.» Et les élus de préciser que «tous les territoires sont touchés». Ces derniers se disent «surpris» par la perception de la laïcité chez les élèves. «Le concept est perçu par un nombre croissant, et désormais majoritaire, d’élèves comme une interdiction et un principe contre une religion.»

La «terrible solitude» du personnel éducatif

Dans leurs 38 recommandations, les rapporteurs conseillent désormais de passer d’une «position défensive» à une «démarche proactive». Pour cela, quatre axes sont mis en avant. «Permettre au ministère de l’Education nationale de reprendre la main sur la formation initiale des enseignants» et «accentuer les efforts sur la formation continue». «Renforcer la culture collective au sein des établissements pour que la promotion de la laïcité soit portée par l’ensemble des personnels.»

Vingt ans après la promulgation de la loi encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, les rapporteurs souhaitent accélérer et clarifier les règles. Prenant l’exemple de l’interdiction de l’abaya, promulguée par Gabriel Attal, alors nouveau ministre de l’Education nationale, Laurent Lafon et François-Noël Buffet considèrent que des règles «claires» permettraient une meilleure application de la loi de 2004.

Le rôle des parents «devenus trop intrusifs» est également pointé du doigt. Certains somment «l’enseignant de justifier une note donnée ou encore les documents pédagogiques utilisés». «Il n’est ainsi plus rare pour les chefs d’établissement de recevoir des courriers d’avocats remettant en cause une sanction disciplinaire prononcée contre un élève.» Les deux sénateurs proposent donc de faire signer chaque année aux parents d’élèves une «charte des parents», dans laquelle «sera rappelé le fait que l’enseignement ne se conteste pas».

Globalement, les rapporteurs se disent particulièrement marqués par «la terrible solitude vécue par les membres du personnel éducatif face à un quotidien marqué par les tensions et par les conflits». Plus symbolique, ils prônent l’organisation d’une journée d’hommage obligatoire aux enseignants assassinés dans chaque établissement en début d’année scolaire.

«Impliquer davantage les forces de l’ordre et de gendarmerie»

Enfin, la prévention des violences en milieu scolaire nécessite de tenir compte de l’environnement de l’établissement. A ce titre, le renforcement de la prévention des agressions à l’encontre du personnel des établissements scolaires suppose d’impliquer davantage les forces de police et de gendarmerie. En particulier, la coopération étroite avec les services de police municipale paraît essentielle pour assurer la sécurité des abords des établissements scolaires.

Les rapporteurs assurent que les chiffres de l’Education nationale concernant les faits de violence au sein et aux abords des établissements, «donnés en pourcentage», «ne reflètent pas la réalité du terrain». Les enquêtes de victimation réalisées depuis plus de vingt ans – la dernière remonte à 2022 – montrent que les violences envers les enseignants sont stables, et diminuent même dans les cas les plus graves, indiquait récemment le chercheur Eric Debarbieux à Libération. Mais les syndicats enseignants assurent constater une dégradation du climat scolaire, notamment depuis la rentrée.

Pour les rapporteurs, le renforcement de la prévention des agressions à l’encontre du personnel des établissements scolaires «suppose d’impliquer davantage les forces de police et de gendarmerie». Ils recommandent en particulier «la coopération étroite avec les services de police municipale».

Cette commission avait été créée le 15 juin 2023, par la commission des lois et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Plusieurs travaux ont ainsi été engagés depuis, entre juillet et décembre 2023, afin notamment d’examiner «en particulier les mécanismes de protection aujourd’hui mis en œuvre pour prévenir le risque» de drames comme les meurtres de Samuel Paty et de Dominique Bernard. Comme l’ont rappelé les deux présidents de la commission, cette enquête a été menée après une demande dans un courrier de Mickaëlle Paty au président du Sénat, Gérard Larcher.