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Justice

Le groupe français Castel visé par une enquête pour crimes contre l’humanité en Centrafrique

Une enquête a été ouverte à Paris pour complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre après un rapport accusant une filiale du géant français des boissons Castel d’avoir soutenu financièrement des rebelles en Centrafrique.
Un combattant de l'Union pour la paix en Centrafrique (UPC), un groupe armé à dominante peule, sur la route nationale 2 entre Bambari et Alindao. (Alexis Huguet/Hans Lucas/Libération)
publié le 1er juillet 2022 à 12h05

L’association le réclamait depuis bientôt un an. Une enquête a été ouverte à Paris pour complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre après un rapport accusant une filiale du géant français des boissons Castel d’avoir soutenu financièrement des rebelles en Centrafrique, annoncent ce vendredi les avocates de l’ONG The Sentry. Une source proche du dossier a confirmé que cette enquête préliminaire avait été ouverte mercredi.

En Centrafrique, le puissant groupe français Castel est éclaboussé par un scandale révélé en août 2021 par l’ONG The Sentry. Co fondée par l’acteur George Clooney, l’organisation américaine enquête sur les affaires de corruption en Afrique centrale. Dans son dernier rapport, elle mettait en lumière un accord secret passé entre une filiale du groupe Castel et les rebelles de l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), soupçonnés d’avoir commis plusieurs massacres pendant la guerre civile qui déchire le pays jusqu’à aujourd’hui.

Un «arrangement» visant à «sécuriser» une «usine et les champs de canne à sucre»

The Snetry affirmait ainsi que Sucaf RCA, filiale de la Société d’organisation, de management et de développement des industries alimentaires et agricoles (Somdiaa), elle-même contrôlée à 87 % par le groupe Castel, avait «négocié un arrangement sécuritaire» avec notamment l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), un groupe armé accusé d’exactions. Cet «arrangement» visait à «sécuriser» son «usine et les champs de canne à sucre» et «tenter de protéger le monopole de la société», selon l’ONG spécialisée dans la traque de l’argent sale. En échange de la sécurisation du site, la Sucaf RCA a mis en place un «système sophistiqué et informel pour financer les milices armées par des paiements directs et indirects en espèces, ainsi que par un soutien en nature sous forme d’entretien des véhicules et de fourniture de carburant», selon The Sentry.

«Nous nous réjouissons de l’ouverture de cette enquête, qui devrait permettre de faire toute la lumière sur les éventuelles responsabilités de sociétés et d’individus, notamment de nationalité française, dans la commission de crimes internationaux d’une extrême gravité», ont commenté dans un communiqué Mes Clémence Witt et Anaïs Sarron, les avocates de The Sentry.

«Castel prend acte de l’ouverture de cette enquête», a de son côté déclaré une source proche du groupe, assurant que ce dernier était dans une «attitude de coopération pleine et entière avec la justice». Castel détient plusieurs marques de vin telles que Baron de Lestac ou Listel, ainsi que des enseignes comme le caviste Nicolas. Le groupe est également présent en Afrique où il produit notamment des boissons gazeuses.

«Après une enquête interne très complète (huit mois d’enquête, 45 000 mails exploités, 22 auditions dont la moitié sur place à Bangui et Ngakobo) qui a totalement infirmé les allégations de The Sentry, le parquet veut savoir qui se cache derrière les témoins anonymes à charge sur la base desquels le rapport de l’ONG s’est déterminé», a pour sa part affirmé l’avocat de Somdia, Pierre-Olivier Sur. Ce dernier dénonce une «tentative de déstabilisation d’un des derniers fleurons agroalimentaire français en Afrique» et assuré qu’un «procès en dénonciation calomnieuse» suivrait «nécessairement».

The Sentry demandait qu’une enquête soit ouverte en France par le parquet national antiterroriste pour le financement d’un groupe armé ayant commis des crimes de guerre, ce qui n’est pas encore le cas à ce jour dans cette affaire. S’il est très rare qu’une entreprise française soit poursuivie pour ses activités à l’étranger, en 2018 pour la première fois, le parquet avait accepté de traiter une telle affaire. La société Lafarge était accusée d’avoir passé un accord similaire avec l’organisation Etat islamique en Syrie.