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Chronologie

«Lépanges-sur-Vologne a enterré son enfant mort» : dans l’affaire Grégory, 41 ans de rebondissements

Le meurtre de Grégory Villemin reste l’une des plus grandes énigmes criminelles en France. L’affaire, qui suscite une grande quantité de commentaires depuis 1984, est l’objet de nombreuses procédures judiciaires. Dernière en date, la mise en examen, ce vendredi 24 octobre, de la grand-tante du garçon, Jacqueline Jacob.

Publié le 24/10/2025 à 19h31
Le 16 octobre 1984, le corps de Grégory Villemin, 4 ans, est découvert dans la Vologne (Vosges), pieds et mains liés. (HANDOUT/AFP)

16 octobre 1984 : la découverte du corps

Le 16 octobre 1984, le corps de Grégory Villemin, 4 ans, est découvert dans la Vologne (Vosges), pieds et mains liés. Son oncle a reçu quelques heures plus tôt un appel téléphonique anonyme revendiquant l’assassinat et, le lendemain, les parents du petit garçon, Jean-Marie et Christine Villemin, reçoivent la lettre d’un «corbeau» : «J’espère que tu mourras de chagrin le chef. Ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance – Pauvre con.» Ce message s’ajoute à de nombreux appels et lettres anonymes reçus les années précédentes par la famille Villemin. Un article de Libération paru en 2017 en faisait le détail : «“L’affaire Grégory” se lit comme une tragédie familiale dont un corbeau a tiré les ficelles en coulisse, écrivait alors Julie Brafman. Sorte de scribe des bas instincts et plume menaçante, il a distillé le poison à l’intérieur des cœurs, jouant sur les bassesses, plantant ses griffes dans les failles personnelles et son bec dans les rivalités.»


Le 20 octobre 1984 : les funérailles de Grégory

Pour Libération, Denis Robert raconte à l’époque la petite église vosgienne pleine à craquer, «600 ou 700 personnes» avec «la très grande famille des Villemin-Jacob en costumes bleus trop larges ou en robes à fleurs» et derrière, «les villageois en blue-jeans repassés et en anoraks propres». Il raconte le cri de Christine Villemin alors que le cercueil de son fils descend sous terre, la tribu «recroquevillée sur sa douleur», les mâchoires et poings serrés. «Les gendarmes et le juge l’avaient assez dit, les journaux l’avaient écrit : “L’assassin était peut-être dans l’église.”»


«Libé» du 10-11 novembre 1984 : «Dallas sur Vologne»

L’affaire fascine tant et tant qu’elle suscite un flot de commentaires et d’analyses, dont ce billet signé René-Pierre Boullu, paru dans le Libé des 10 et 11 novembre 1984. Extrait : «On tue un enfant. Fait divers. Il n’y a pas de cynisme à le dire. C’est une histoire “en plus” dans le journal, avec tout l’aléatoire du choix de ces (micro) événements qu’on raconte “quand même” parce qu’ils sont tissés, comme le meurtre de Grégory, de tous les nœuds des histoires d’amour et de haine qui se font des nœuds. Et puis, parfois, ça explose. L’histoire de l’enfant ligoté et noyé il y a seulement trois semaines dans la Vologne a explosé en fait-divers-feuilleton national. Comme l’affaire Dominici il y a trente ans, comme l’affaire de Bruay-en-Artois il y a dix ans. A chaque fois, la France, en manque d’histoires, se penche sur un coin d’elle-même. Il faut pour cela que le micro-milieu social concerné permette de prendre juste un peu de distance avec le reflet de soi-même ainsi offert (puisqu’il s’agit de jouissance par identification… à condition de ne pas s’identifier tout à fait). Mais la “mayonnaise” prend encore mieux si la France urbaine peut se passionner (non sans un grain de paternalisme) pour un drame rural, joué sur quelques kilomètres carrés de décor, entre quelques-uns de ces “Goupi-Mains rouges” fantasmatiques dont nous sommes issus, à quelques générations près.»


29 mars 1985 : Bernard Laroche est tué

Le 5 novembre 1984, Bernard Laroche, cousin de Jean-Marie Villemin, est inculpé d’assassinat. Désigné par une expertise graphologique, il a aussi été mis en cause par sa belle-sœur Murielle Bolle qui l’a accusé d’avoir enlevé l’enfant, avant de se rétracter. Bernard Laroche sera remis en liberté le 4 février 1985. Mais, le 29 mars 1985, il est tué par le père de Grégory, Jean-Marie Villemin. Celui-ci sera condamné pour ce fait, en 1993, à cinq ans d’emprisonnement, dont un avec sursis.


5 juillet 1985 : Christine Villemin inculpée

Le 5 juillet 1985, Christine Villemin, désignée comme possible corbeau par des graphologues, est inculpée d’assassinat. Enceinte, elle est écrouée durant onze jours. Quelques jours plus tard, Marguerite Duras publie un texte dans Libération qui fera polémique et dont on se souvient encore du titre : Sublime, forcément sublime Christine V. L’écrivaine avait été envoyée à Lépanges-sur-Vologne, avait rencontré des protagonistes de l’affaire. Le journaliste Eric Favereau, à ses côtés, racontait des années plus tard, en 2023 : «A ce moment-là, on ne parlait que de la Vologne, de l’affaire du petit Grégory. Le vent venait de tourner : dans la ville tout le monde – journalistes, politiques… – en discutait. Tous étaient convaincus que Christine Villemin, la mère, était coupable. Elle devait être inculpée sous peu, ce n’était même plus sujet à débat.» Le 3 février 1993, Christine Villemin bénéficie d’un non-lieu.


En 2017 : de nouvelles mises en examen, dont les époux Jacob

Le 16 juin 2017, Marcel et Jacqueline Jacob, grand-oncle et grand-tante de Grégory, soupçonnés à leur tour d’être les corbeaux, sont mis en examen pour «enlèvement et séquestration suivie de mort». Comme le relate Libé à l’époque, le procureur général de la cour d’appel de Dijon, Jean-Jacques Bosc, justifie alors notamment la double mise en examen par l’inimitié qu’entretenait le couple avec les parents de Grégory, élément bien connu du dossier. «Marcel Jacob dissimule contre l’évidence ses antagonismes avec les parents de Grégory», détaille-t-il. Jaloux de la réussite de Jean-Marie Villemin, à l’époque promu contremaître dans une usine, le septuagénaire l’aurait apostrophé ainsi en 1982 : «Je ne serre pas la main à un chef. Tu n’es qu’un rampant qui n’a pas de poils sur la poitrine.» Le procureur évoque également l’analyse graphologique des lettres envoyées aux Villemin par le corbeau «qui permet d’impliquer Mme Thuriot [le nom prémarital de Jacqueline Jacob, ndlr]». Ils sont emprisonnés durant quatre jours.

Murielle Bolle est également mise en examen le 29 juin pour «enlèvement suivi de mort». Emprisonnée, elle est libérée un mois plus tard, le 4 août. Mais ces trois mises en examen sont annulées en mai 2018 pour un pur vice de forme. La justice maintient cependant au dossier les déclarations de Murielle Bolle accusant Bernard Laroche.


2024 : des expertises ADN et vocales

Le 20 mars 2024, la cour d’appel de Dijon ordonne de nouvelles expertises en matière d’ADN et de reconnaissance vocale. Il s’agit de la sixième campagne d’analyses après celles de 2000, 2008, 2010, 2012 et 2021.


24 octobre 2025 : Jacqueline Jacob de nouveau mise en examen

Le 24 octobre 2025, après plus d’une heure et demie d’interrogatoire à la cour d’appel de Dijon, Jacqueline Jacob est de nouveau mise en examen, cette fois pour «association de malfaiteurs». La grand-tante de Grégory est soupçonnée d’être l’un des cinq corbeaux et d’avoir revendiqué le crime. Agée de 81 ans, elle est laissée libre sans contrôle judiciaire. Cette mise en examen «ne pèse pas bien lourd» et «ne vaut pas tripette», a fustigé Me Stéphane Giuranna, un des trois avocats de Jacqueline Jacob, annonçant que la défense fera appel, «sur la forme et sur le fond». Le conseil a notamment rappelé qu’une expertise vocale avait dans le passé déterminé que le corbeau était «un homme âgé de 45 à 55 ans». Dans une conférence de presse, le procureur général de Dijon, Philippe Astruc, a estimé que cette mise en examen représente une «étape importante» dans l’enquête, réitérant «la volonté pleine et entière de continuer la recherche la vérité la plus complète possible dans cette affaire», ajoutant : «Nous le devons à un petit enfant de 4 ans.»