
Enquête
Les hommes de la rue du Bac (1/6) : comment une «bande» pédocriminelle a sévi pendant des années au cœur de Paris
Pour décrire sa vie, Inès Chatin use souvent d’un euphémisme, dont on devine aisément qu’il est une défense pour s’épargner l’indicible : «Depuis ma naissance, je n’ai connu que des emmerdes.» Qui oserait nommer ainsi les monstruosités dont cette femme de 50 ans a été victime, et qu’elle n’a trouvé la force de révéler qu’aujourd’hui, quarante ans plus tard ? Longtemps, seule sa peau s’exprimait, étalant sur ses avant-bras l’éventail de maladies matérialisant les troubles invisibles. Puis, les mots ont jailli, à mesure que le pouvoir de ceux qu’elle présente comme ses bourreaux s’amenuisait, et qu’elle s’éloignait du 97, rue du Bac, adresse maudite du VIIe arrondissement parisien. Comme si sa mémoire acceptait enfin de décoder l’accès au coffre-fort de ses horreurs.
Ces derniers mois, Libération a réalisé plus de soixante heures d’entretien avec Inès Chatin, ainsi qu’avec ceux qui lui ont permis de rassembler les fragments de son passé. Un récit terrifiant en surgit, enrichi par une masse d’archives inédites documentant l’univers pédocriminel d’un noyau de l’intelligentsia parisienne des années 70-80. A l’heure où s’étire la procédure judiciaire née de la publication en 2020 du livre le Consentement de Vanessa Springora, dans lequel elle décrivait la relation d’emprise qu’exerçait sur elle l’écrivain Gabriel Matzneff lors