Chez Inès Chatin, la plupart des émotions sont enfouies. Rester impassible, ne rien laisser deviner de la douleur endurée, c’est précisément ce que lui demandaient ses agresseurs en la violant avec des objets. Subir en silence, c’est aussi ce qu’elle s’est efforcée de faire pour protéger sa mère, Lucienne. Car dans son huis clos familial, un schéma pervers a longtemps eu cours : pour attiser la culpabilité de ses deux enfants – Inès Chatin a un grand frère, également adopté – et les asservir, leur père adoptif, le médecin Jean-François Lemaire, s’acharnait sur son épouse. «Si on posait une question, c’est maman qui prenait», en cauchemarde encore Inès Chatin. Elle reste hantée par le soir où Lemaire l’a projetée dans le grand escalier de leur domicile, situé au 97, rue du Bac.
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Cet article fait état de récits de violences sexuelles sur des enfants.
Emmurée dans ce mécanisme, elle n’a pu interroger ses origines et verbaliser son passé qu’après le décès de Lucienne, en mai 2021 : «Il a fallu que maman meure pour qu’elle soit enfin en sécurité. Sans cela, je me serais sûrement tue», murmure-t-elle. A cela, il faut ajouter qu’en ayant été la victime directe des amis les plus intimes de son père adoptif, qu’elle a continué de côtoyer à l’âge adulte – certains étaient invités à son mariage en 1997 –, elle leur est restée psychologiquement assujettie.
Près de trente-cinq ans après, Inès Chatin accepte à grand-peine de décrire les scènes les plus crues de son enfance. Libération a pu l’éprouver lors des soixante heures d’entretien réal