Trente-cinq ans après le supplice de la rue du Bac, Inès Chatin lui fait face dans cette chambre de l’Ehpad Le Corbusier, de Boulogne-Billancourt. Affaibli physiquement, mais parfaitement alerte, Jean-François Lemaire, 91 ans, accepte enfin le dialogue. Timide les premiers jours, il se fera plus disert à mesure que les conversations avec sa fille adoptive vont se multiplier.
Après plusieurs décennies à s’épanouir loin du maudit 97, rue du Bac, Inès Chatin veut désormais comprendre «comment et pourquoi» de tels actes pédocriminels lui ont été imposés. Le déclic fut fulgurant. Longtemps silencieuse sur son passé, elle y sera confrontée brutalement en vidant le vaste appartement de son enfance, en octobre 2020, au moment du départ de ses parents en maison de retraite. Par ci, sous les coussins d’un canapé, par là, sous une carte marine accrochée au mur, elle découvre des noms, des dédicaces, des cartes postales, des lettres aux significations vertigineuses.
Avertissement
Cet article fait état de récits de violences sexuelles sur des enfants.
Surtout, elle va trouver, scotchée à l’intérieur du secrétaire personnel de sa mère, Lucienne, battue par son mari toute sa vie, une mystérieuse enveloppe contenant les pages déchirées d’un magazine pornographique sadomasochiste. Sur les images figurent uniquement des hommes, masqués de noir, et montrés dans des positions obscènes et suggestives. Inès Chatin y voit une volonté de sa mère de laisser derrière elle une trace de l’indicible, ce qui va déclencher chez elle une légitimité nouvelle à poser toutes les questions