Ils avaient été interdits de territoire, alors qu’ils devaient participer à une manifestation. Quatre militants écologistes italiens, empêchés de rejoindre un rassemblement contre la LGV Lyon-Turin en juin 2023, ont vu les interdictions administratives de territoire (IAT) prises à leur encontre annulées mardi 26 mars par le tribunal administratif de Paris, qui examinait leurs recours. Malgré quelques réserves, les avocats des requérants ont salué «une décision logique sur le plan du droit et des libertés fondamentales». L’Etat a par ailleurs été condamné à les dédommager.
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A la veille de ce week-end de mobilisation, organisé par les Soulèvements de la Terre du 16 au 18 juin 2023 dans la commune de La Chapelle, en Maurienne (Savoie), plusieurs militants italiens sont interceptés au Mont-Cenis, un point de passage terrestre entre la France et l’Italie. Le 16 au soir, cinq bus sont bloqués par la police aux frontières à la sortie du tunnel de Fréjus, avec la présence des renseignements français et italiens. Au total, une cinquantaine de personnes sont interpellées et se voient refuser le droit d’entrer en France via, pour la plupart d’entre eux, une notification d’IAT. Contestant la base légale de ces réquisitions administratives, 32 d’entre elles (31 Italiens et un Français) décident d’engager un recours contre l’Etat français.
«Un arsenal anti-terroriste à l’encontre de militants»
Un des arguments avancés par les avocats des requérants pour attaquer ces IAT devant la justice repose sur leur délais extrêmement court (la plupart durant une semaine). «Une IAT ne peut-être prise uniquement en considération du comportement personnel de la personne, lorsque celui-ci présente une grave menace pour un intérêt fondamental de la société. Or, on a du mal à comprendre comment une IAT de quelques jours pourrait se baser sur le comportement personnel d’une personne, qui par définition s’inscrit dans le moyen ou long terme», détaille Me Fayçal Kalaf, un des avocats des militants, avec Anna Blanchot, Alexandre Maestlé et Alexis Baudelin. En l’espèce, ces IAT, crées dans le cadre de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions en matière de lutte contre le terrorisme, sont prévues pour des durées indéterminées, avec réexamen tous les cinq ans.
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Pour Me Kalaf, cette affaire est un exemple de la façon dont tout un arsenal «initialement prévu pour lutter contre le terrorisme djihadiste, se retourne très vite à l’encontre d’activistes et de militants». Il rappelle que cette «répression judiciaire» n’est pas récente : «Depuis l’affaire de Tarnac [une affaire de sabotages de lignes TGV en 2008, ndlr], on assiste à ce schéma désormais classique d’un déploiement massif d’un arsenal anti-terroriste à l’encontre de militants», analyse l’avocat. Deuxième argument avancé par le conseil des requérants lors de l’audience, l’absence de motivations de fond apportées par le ministère de l’Intérieur sur le comportement personnel des individus notifiés d’IAT. «Ils ont énormément tardé à produire leur mémoire de défense et celui-ci ne mentionne rien de personnel, seulement des éléments très généraux sur les Soulèvements de la Terre qui serait, entre autres, un mouvement violent», détaille l’avocat.
«Décisions incomplètes»
C’est principalement sur ce point que le juge s’est appuyé pour annuler les quatre interdictions administratives de territoire. Dans les décisions que Libération a pu consulter, le tribunal évoque ainsi «des éléments de portée générale» qui «ne sont pas de nature à révéler par eux-mêmes l’existence [...], dans le comportement personnel» des requérents «d’une menace réelle». En parallèle de l’annulation des IAT, le juge administratif a également condamné l’Etat français à verser 500 euros de dommages et intérêts par requérant au motif du préjudice moral.
Selon les avocats des requérants, cette décision vient ainsi rappeler que «le simple fait d’appartenir à un mouvement de contestation ne peut justifier de considérer qu’un individu représente une quelconque menace pour la société».
Toutefois, déplorant que le rendu des décisions ne mentionne pas de violation des libertés fondamentales, «pourtant évidente» selon les avocats, le conseil indique également avoir saisi la Défenseuse des droits, et compte saisir le rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression. «Ces décisions incomplètes n’empêcheront pas le ministère de l’Intérieur de continuer à prendre des mesures qui interdisent l’entrée sur le territoire de façon instantanée à des personnes dans le cadre de manifestations ou de rassemblements», regrette Me Kalaf. Concernant les recours en attente de jugement, une clôture d’instruction a été annoncée au 12 avril par le tribunal administratif de Paris. Sauf grande surprise, des décisions similaires à celles rendues mardi devraient être prononcées.