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Libération
Violences policières

L’IGPN fait un petit pas vers plus de transparence dans son dernier rapport annuel

Dans son rapport pour l’année 2023, la police des polices relève une baisse des usages des armes à feu, mais note une impressionnante augmentation de l’usage des armes dites «intermédiaires» (LBD, grenades, Taser…). L’IGPN produit pour la première fois des données plus précises sur l’usage de ces armes et dénonce discrètement une «situation RH dégradée» dans ce service.
Pendant la neuvième journée de manifestations contre la réforme des retraites, à Nantes le 23 mars 2023. (Thomas Louapre/Divergence)
publié le 21 novembre 2024 à 16h27

Dans la police, le chemin vers la transparence est long et tortueux. Le rapport pour l’année 2023 de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) représente un pas en avant, une avancée suffisamment rare pour être relevée. Ce document, publié sur le site du ministère de l’Intérieur, retrace l’activité de la police au cours de l’année précédente. Ces douze mois ont notamment été marqués par la mobilisation contre la réforme des retraites et la révolte d’habitants des quartiers populaires à la suite de la mort de Nahel Merzouk, un adolescent d’origine maghrébine, tué par le tir d’un policier à Nanterre (Hauts-de-Seine). «Avec tous les agents de l’IGPN, nous avons en 2023, y compris pendant des séquences sensibles au fort retentissement, gardé le cap», assure en introduction la magistrate Agnès Thibault-Lecuivre, à la tête de ce service depuis juillet 2022. L’IGPN produit pour la première fois des données plus précises sur l’usage des armes et alerte en creux sur le manque de moyens pour mener ses enquêtes.

Au cours de l’année 2023, 36 personnes sont mortes «dans le cadre d’une mission de police». Cette comptabilité, commencée en 2018, ne préjuge pas de la légalité des violences exercées ou de la responsabilité des agents dans la mort d’une personne. L’IGPN en dénombrait 38 en 2022 et 37 en 2021. Le nombre de tués au volant de leur voiture ou comme passager a chuté en 2023 : trois personnes sont mortes dans ces conditions, contre 13 en 2022. L’IGPN note que 16 personnes sont mortes dans des «accidents», dont «une très grande majorité […] a pour origine un véhicule qui cherche à fuir un contrôle de police».

Moins d’usage des armes à feu

L’IGPN dénombre également 91 personnes «gravement blessées» lors d’une opération de police en 2023, contre 73 en 2022. Parmi ces cas, vingt personnes ont été blessées dans le cadre des mobilisations sociales, tandis que 18 l’ont été lors du mouvement en réaction à la mort de Nahel Merzouk. Au cours de cette révolte, un Algérien de 27 ans, Mohamed Bendriss, est mort à Marseille après avoir reçu un tir de LBD sur la poitrine, au niveau du cœur.

Concernant l’usage des armes à feu, l’IGPN relève que «l’année 2023 se caractérise par un recul important du nombre de déclarations de l’usage de l’arme individuelle». Quelque 189 usages ont été déclarés par les agents l’année passée, contre 285 en 2022. Les tirs lors des contrôles des véhicules ont notamment chuté : 79 déclarations en 2023, soit une baisse de 43 % par rapport à l’année précédente. Par ailleurs, les policiers ont déclaré 17 usages d’arme longue contre 23 en 2022.

La situation est inverse concernant les armes dites «intermédiaires» : lanceurs de «balle de défense» (LBD), grenades de «désencerclement» et pistolet à impulsion électrique (PIE). L’usage de toutes ces armes a fortement augmenté au cours de l’année 2023. Les policiers ont déclaré 4 583 usages du LBD en 2023, pour 15 752 munitions tirées. La grande majorité de ces tirs ont eu lieu lors de la répression du mouvement de révolte en réaction à la mort de Nahel Merzouk. En seulement neuf jours, les agents ont déclaré près de 3 000 usages du LBD, soit quasiment le volume de l’année 2022. Lors de ces quelques jours, 18 personnes ont été gravement blessées, pour la plupart sur la «partie supérieure du corps et en particulier le visage (fractures multiples de la mâchoire, blessures ouvertes notamment au niveau du globe oculaire, etc.) et entraînent dans certains cas une incapacité permanente».

Le nombre d’usage est tout aussi massif concernant les grenades de désencerclement. Les policiers ont déclaré 2 484 usages en 2023, soit une hausse de près de 100 % par rapport à l’année précédente. L’augmentation est encore plus impressionnante en observant le nombre de munitions utilisées : 5 263 grenades contre 1 928 en 2022, soit une hausse de 173 %. Enfin, l’usage des pistolets à impulsion électrique, plus connus sous le nom commercial Taser, continue d’augmenter année après année. Les agents ont déclaré 3 675 usages en 2023, soit une augmentation de 20 % pour rapport à l’année précédente. «Cette évolution est à mettre en corrélation avec l’augmentation du nombre de PIE en dotation dans la police nationale», commente l’IGPN dans son rapport.

Stabilité du nombre des enquêtes

Fait surprenant, le nombre d’enquêtes judiciaires confiées à la police des polices par les magistrats est resté stable en 2023. L’IGPN a été saisie de 1 015 procédures en 2023, contre 1 065 en 2022. La moitié de ces affaires concerne des affaires de violences. «La très légère inflexion quantitative de l’activité de l’IGPN en matière d’enquête judiciaire peut, si elle doit être commentée, trouver une explication dans la situation RH dégradée», explique le rapport. Autrement dit, les magistrats, informés de la saturation du service et du trop faible nombre d’effectifs pour mener les procédures, s’orientent vers d’autres services d’enquête. La délégation IGPN de Marseille est par exemple concernée par un manque conséquent d’effectifs, comme l’avait récemment relevé la Cour des comptes.

En conclusion de son rapport, organisé sous la forme d’un abécédaire, l’IGPN souhaite répondre aux critiques formulées depuis des années contre ce service. Elles sont nombreuses : manque d’indépendance, d’impartialité, enquêtes inabouties… «Ni à décharge ni à charge et conformément aux valeurs qui sont les leurs, les enquêteurs de l’IGPN doivent traiter avec le même professionnalisme, la même objectivité et le même respect [les] plaignants qui dénoncent par exemple des allégations de violence que [les] policiers mis en cause, sans autre considération que de mener à bien les investigations», affirme le rapport annuel. L’IGPN dénonce des reproches effectivement infondés, comme le fait d’imputer à ce service l’absence de sanction ou la faiblesse de celles-ci alors que le pouvoir disciplinaire est exercé par le ministre de l’Intérieur, mais n’esquisse pas la moindre autocritique sur son fonctionnement.