La question pourrait être posée ainsi : «Souhaitez-vous être jugé par un juge au bord de l’épuisement et ne pouvant vous écouter plus que quelques minutes ni prendre le temps d’examiner votre affaire ?», résume lors d’une conférence de presse Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, organisée par plusieurs organisations syndicales de fonctionnaires du ministère de la justice (USM, SM, UNSA, CGT et CFDT).
Avec Céline Parisot, son homologue de l’Union syndicale des magistrats, elles annoncent ce mercredi avoir déposé une plainte intersyndicale contre la France devant la Commission européenne, pour manquement à la législation de l’UE en matière du droit du travail applicable aux magistrats. Charge désormais à l’institution de décider si elle donne suite à cette plainte en interrogeant l’Etat français, qui devra réagir dans les soixante-dix jours. En fonction des réponses, la Commission pourra ensuite saisir la Cour de justice de l’Union européenne, instance basée au Luxembourg qui veille au respect du droit de l’Union.
[Info#USMagistrats] plainte de l’USM contre la France devant la Commission Européenne en intersyndicale (SM, AFMI, AFMJF) #JusticedeQualite pic.twitter.com/a2qHi3PBvU
— USM Magistrats (@USM_magistrats) February 9, 2022
La plainte rappelle que la France dispose de 10,9 juges pour 100 000 habitants, contre une «médiane européenne de 17,7 et une moyenne de 21,4», selon les chiffres de la direction des services judiciaires et du rapport 2020 de la CEPJ. «Cette situation rend impossible le respect du droit de l’UE concernant les temps de repos et les amplitudes horaires maximales pour les magistrats», précisent les plaignants.
«Les magistrats français sont corvéables à merci»
Plus de deux mois après la publication d’une tribune dans le journal le Monde, signée par près de 7 500 magistrats, greffiers et auditeurs de justice faisant état de leur détresse, leur colère ne faiblit pas.
«Il faut plus de moyens», martèlent tous les représentants syndicaux au fil de cette conférence de presse. Depuis la tribune publiée en novembre, «nul ne peut prétendre ignorer ce qui se passe dans nos juridictions», insiste Kim Reuflet, en rappelant une nouvelle fois une partie de leurs difficultés : «Les audiences commencent à 13 heures et se poursuivent tard dans la nuit, les magistrats travaillent pendant leurs week-end, pendant leurs congés, renoncent à se former…» «Les magistrats français sont corvéables à merci. […] Nous demandons des explications formelles à la France pour justifier pourquoi ils ne peuvent pas se voir appliquer la législation européenne», fait valoir Céline Parisot.
Témoignages
En parallèle, les syndicats ont indiqué que des initiatives locales ont été lancées : à Nanterre, par exemple, les magistrats ont listé début février 121 tâches qu’ils n’accompliront plus, faute d’effectif. Le 25 janvier, les syndicats représentés au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) du ministère de la justice ont voté à l’unanimité «une demande d’expertise sur le risque grave auquel sont exposés les agents».
Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, doit déterminer s’il accède ou pas à cette demande. «S’il garde le silence pendant deux mois, ça deviendra un refus, analyse un représentant syndical. Cela sera alors perçu comme une nouvelle forme de mépris à l’égard du personnel.»