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Libération
Justice des mineurs

Meurtre d’Elias : Darmanin pointe des «dysfonctionnements», le syndicat de la magistrature fustige un ministre de la Justice «à contre-courant»

Le garde des Sceaux a déploré ce jeudi que «tout n’a pas été fait» pour éviter la mort de l’adolescent de 14 ans tué par deux mineurs connus de la justice. Il a demandé à l’Inspection de la justice de rendre des conclusions publiques sur ce drame.
Gérald Darmanin lors de la séance des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris, le 10 juin 2025. (Sarah Meyssonnier/REUTERS)
publié le 12 juin 2025 à 18h54

Il avait été mortellement poignardé le vendredi 24 janvier, dans le XIVe arrondissement de Paris, pour avoir résisté au vol de son portable. Quatre mois après la mort d’Elias, Gérald Darmanin a pointé du doigt des «dysfonctionnements» ayant mené au drame. Invité de BFMTV jeudi 12 juin, le ministre de la Justice a estimé que «tout n’avait pas été fait […] pour que notre code des mineurs, notre code pénal, notre fonctionnement de la justice et de la police puissent garantir la sécurité la plus importante à tous les parents de France».

Le garde des Sceaux a explicité, «choqué» que les «deux gamins» mis en cause dans cette affaire − deux mineurs de 16 et 17 ans connus de la justice pour plusieurs tentatives d’extorsion – aient pu se retrouver «ensemble» au moment de la mort d’Elias, malgré des contrôles policiers. Selon une mesure éducative judiciaire qui avait été prononcée à leur encontre par un juge des enfants, les deux jeunes n’avaient en effet «pas le droit de se rencontrer». Une mesure d’autant moins respectée qu’elle n’avait pas été inscrite au «fichier des personnes recherchées», si bien qu’en cas de contrôle, «il n’est pas certain que les policiers ou les gendarmes auraient pu constater» une violation de cette mesure.

Des dysfonctionnements «bien réels»

Lucia Argibay, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM), rétorque auprès de Libération que l’existence même de ces dysfonctionnements, «qui sont bien réels», ne sont imputables qu’au «manque de moyens alloués à la protection judiciaire de la jeunesse». La juge, qui ne souhaite pas réagir sur cette affaire en cours, précise ainsi que, s’il appartient bien au juge des enfants de prononcer une telle mesure à l’encontre des mineurs, c’est aux «éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse de l’appliquer». Impossible donc dans le cas où ces éducateurs font défaut.

Un manque de personnel criant depuis plusieurs années, ajoute Lucia Argibay, qui rapporte que de nombreux dossiers validés par des juges des enfants ne sont ainsi pas attribués et restent en suspens. «Ce sont des coquilles vides», constate la magistrate, qui chiffre à 4 200 le nombre de mesures de justice prises par des juges des enfants étaient alors en attente d’attribution en octobre 2024, date du dernier état des lieux.

«On a un système qui dysfonctionne, oui, on ne fait que de le répéter, mais on n’est pas sur la même ligne que Darmanin pour le résoudre. De notre côté, on veut privilégier l’éducatif sur le répressif. Lui ne va pas dans ce sens-là, mais plutôt à contre-courant», alerte la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature.

«Darmanin annonce des magistrats supplémentaires, mais on n’en voit jamais la couleur»

Le ministre de la Justice a toutefois reconnu ce jeudi le «manque de moyens» de la justice des mineurs. «Des juges pour enfants, il n’y en a pas beaucoup en France» et ils ont «à peu près 450 dossiers» à traiter chacun, a-t-il détaillé, annonçant vouloir augmenter leur nombre.

«Des effets d’annonces, d’autant plus critiquables que le ministre avait déjà fait des annonces similaires en janvier», objecte Lucia Argibay. En janvier 2025, à son arrivée au ministère de la Justice, Gérald Darmanin avait en effet annoncé embaucher «50 juges pour enfants dans les prochaines semaines». «Il annonce des magistrats supplémentaires, mais on n’en a jamais vu la couleur», observe la magistrate. «Ironie du sort : depuis 2022, on est seulement à 30 juges de plus. Ce n’est pas du tout à la hauteur. On est en dessous de toutes les normes européennes.»

La magistrate souligne par ailleurs que le nombre de dossiers à gérer par magistrats est en réalité «beaucoup plus élevé». Car un juge des enfants a «une double casquette», explique la juge : il doit à la fois prendre des mesures de protection de l’enfance - c’est le volet de 450 dossiers évoqués par Darmanin -, mais il doit aussi juger les enfants en cas d’actes délinquants.

A la demande de la mère de la victime, le ministre a annoncé avoir saisi l’Inspection de la justice afin de rendre des conclusions publiques sur ce point. Le rapport devrait être rendu public d’ici au mois de septembre.