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Psychiatrie

Meurtres de deux soignantes à Pau en 2004: Romain Dupuy reste en unité pour malades difficiles

La cour d’appel de Bordeaux a infirmé, ce vendredi, la décision d’une juge qui avait validé le transfert de ce schizophrène, auteur d’un double meurtre en 2004, d’une unité pour malades difficiles à un service de psychiatrie conventionnelle. Relançant un «ping-pong» judiciaire et administratif qui dure depuis quatre ans.
Romain Dupuy (au centre de la photo) au palais de justice de Pau en 2007. (Rodolphe Escher/pour Libération)
publié le 17 juin 2022 à 16h20

Romain Dupuy, schizophrène tristement célèbre, est-il condamné à la «perpétuité psychiatrique» ? La cour d’appel de Bordeaux a décidé, ce vendredi après-midi, d’infirmer l’ordonnance rendue, le 9 juin, par la juge des libertés et de la détention (JLD), qui autorisait la fin de son placement en unité pour malades difficiles (UMD) et son transfert dans un service de psychiatrie ordinaire. La juridiction s’est déclarée incompétente, renvoyant au juge administratif et invitant Romain Dupuy à «mieux se pourvoir» – comprendre aller au fond devant le tribunal administratif. «On repart à zéro… a déploré Me Hélène Lecat, avocate qui le défend avec Me Serge Portelli. Il est regrettable que le juge judiciaire en appel n’ait pas eu le même courage que la JLD, qu’il ne se soit pas départi de la pression politique. Il semble que la loi ne soit pas la même pour tous. En tout cas, il semble exister une loi particulière pour Romain Dupuy.»

En 2007, ce jeune schizophrène a été définitivement déclaré pénalement irresponsable pour le meurtre, trois ans plus tôt, d’une aide soignante et d’une infirmière – qu’il avait décapitée – à l’hôpital de Pau, où il avait déjà séjourné trois fois. La tête de la deuxième victime avait été posée sur la télévision. L’affaire avait figé le pays dans l’effroi. Romain Dupuy n’avait pas été jugé, mais interné. Cela fait maintenant dix-sept ans qu’il est hospitalisé à l’unité pour malades difficiles de l’hôpital de Cadillac (Gironde), une des dix unités hautement sécurisées et destinées à accueillir des patients dangereux pour autrui et eux-mêmes. Un lieu d’enfermement proche de l’univers carcéral : couverts comptés (pour éviter qu’ils ne deviennent des armes par destination), lits et placards scellés, horaires restreints et déplacements contrôlés.

«Je suis repenti»

Escorté d’infirmiers, entouré de ses parents, Romain Dupuy, 38 ans, a comparu mercredi devant la cour d’appel de Bordeaux, qui examinait l’appel du parquet après cette décision de la juge des libertés et de la détention ouvrant la voie à une mainlevée de son placement en UMD. Depuis plus de quatre ans, celui dont l’état est jugé stabilisé par le corps médical bataille pour obtenir son transfert dans un service ordinaire de psychiatrie – toujours sous le régime d’une hospitalisation complète. Mandaté récemment par la JLD, l’expert psychiatre Roland Coutanceau, qui a examiné l’intéressé le 9 mai, écrivait : «On peut dire sur le plan clinique que Romain Dupuy est stabilisé et qu’il ne sera, a priori, jamais mieux stabilisé qu’aujourd’hui.» Dans son ordonnance du 9 juin, la JLD, qui contrôle tous les six mois les hospitalisations sans consentement, estimait : «Le placement de Romain Dupuy en UMD est devenu irrégulier et il y a bien atteinte aux droits du patient.»

Une première, depuis le début du bras de fer judiciaire entamé par Romain Dupuy et ses conseils pour permettre son hospitalisation dans un service plus adapté à son évolution thérapeutique. D’autant que c’est cette même magistrate qui s’était déclarée «incompétente» à statuer, en 2021, renvoyant l’affaire à la préfecture. «Cette ordonnance constitue un revirement de jurisprudence capital, avait salué le duo d’avocats. Elle instaure enfin un contrôle réel du juge judiciaire, en l’espèce le JLD, sur les mesures de soins sans consentement dans les UMD.» Sans surprise, le parquet de Bordeaux et la préfecture, qui se sont toujours opposés à ce transfert, ont fait appel dès le lendemain, contestant la compétence du juge judiciaire en la matière. Dans un communiqué, la Ligue des droits de l’homme (LDH) s’était félicitée cette décision, «prise en dépit des pressions potentielles de l’opinion publique», considérant qu’elle ouvrait «la voie au contrôle nécessaire par le juge judiciaire des mesures de placement en UMD. Une décision qui doit bénéficier à toutes les personnes hospitalisées d’office et devenir la norme».

A l’issue de l’audience devant la cour d’appel, mercredi, Romain Dupuy avait déclaré dans une interview filmée à France 3 Nouvelle-Aquitaine : «Je n’ai eu aucun signe d’agressivité pendant dix-sept ans. Je ne cherche qu’à me réadapter. Je suis repenti, j’ai 38 ans, j’ai mûri, je n’ai pas stagné au niveau de l’hôpital, j’ai beaucoup travaillé avec les médecins et le personnel soignant. […] J’ai insisté auprès de la préfecture et de l’ARS : pourquoi on s’acharne sur moi, quelle est la raison ?» Depuis le 11 janvier 2018, les cinq commissions de suivi médical successives se sont toutes montrées favorables à son hospitalisation complète au sein d’un secteur de psychiatrie traditionnelle. Malgré cet avis constant, la préfecture de Nouvelle-Aquitaine n’a jamais pris aucun arrêté pour acter le transfert de ce malade – alors même qu’il convient à l’autorité administrative de le faire, comme en dispose le code de la santé publique. A l’UMD de Cadillac, «une trentaine de patients» ont pourtant pu bénéficier d’un tel transfert en 2021, soulignent les avocats de Romain Dupuy.

Symbole

D’audience en audience, de mois en mois, le cas de Romain Dupuy s’est ainsi englué dans un imbroglio, le juge judiciaire et le juge administratif se livrant à un véritable «ping-pong», chacun se déclarant incompétent à statuer. Conduisant à cette aporie : quel est le juge compétent pour trancher sur le transfert de Romain Dupuy ? Si la cour d’appel de Bordeaux juge, dans l’arrêt rendu ce vendredi, que le JLD n’a pas «le pouvoir d’annuler une décision administrative ni de se substituer à l’autorité administrative», la juridiction déjà saisie à plusieurs reprises dans cette affaire le reconnaît : «Cette situation de blocage engendre une légitime incompréhension de la part de Romain Dupuy et est susceptible de rejaillir sur l’évolution positive de son état de santé.»

Il y a un an, Libération s’était rendu dans l’arrière-pays béarnais rencontrer ses parents, Marie-Claire et Alain Dupuy, très inquiets de cet enkystement, de l’absence de perspective pour leur fils et des conséquences sur sa santé mentale. «Ça fait trois ans et demi qu’on lui promet et on lui ferme toutes les portes. Il est en train de perdre confiance», déplorait son père. Libé avait alors interrogé la préfète, Fabienne Buccio, qui assumait déjà sans détour être contre ce transfert : «Les faits commis sont extrêmement graves, j’ai lu toutes les expertises, et j’estime en mon âme et conscience qu’il est dangereux de faire sortir ce monsieur de l’UMD. Ce serait un risque important de trouble à l’ordre public qu’il n’est pas opportun de prendre […] Si c’est une atteinte aux droits, le juge le dira.»

Reste que trouver un établissement médical acceptant d’accueillir ce schizophrène ayant tué deux personnels, un crime au fort retentissement social, est une vraie gageure. En 2019, le centre hospitalier Charles-Perrens à Bordeaux, auprès duquel des démarches avaient été engagées pour accueillir Romain Dupuy, s’était finalement rétracté. Aujourd’hui, le parcours du patient le plus célèbre de Cadillac est devenu un cas d’école, un symbole du traitement réservé aux fous criminels : la société peut-elle enfermer à vie un malade mental au nom de la sécurité ?