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Libération
Décryptage

Mort de Nahel : la cagnotte en soutien au policier dépasse le million d’euros et est jugée «conforme» par la plateforme qui l’héberge

Mort de Nahel, tué par un tir policier à Nanterredossier
Deux cagnottes ont été lancées : une pour la famille de Nahel, l’autre pour le policier mis en examen, dépasse le million d’euros. L’entreprise américaine GoFundMe, qui accueille celle destinée au policier, juge l’initiative «conforme à [ses] conditions d’utilisation».
Un groupe de policiers marche lors d'une manifestation à Nanterre, près de Paris, France, samedi 1er juillet 2023. (Lewis Joly/AP)
publié le 2 juillet 2023 à 15h07
(mis à jour le 3 juillet 2023 à 14h12)

«La cagnotte de plusieurs centaines de milliers d’euros pour le policier mis en examen dans l’homicide du jeune Nahel est indécente et scandaleuse.» Les mots, durs, viennent d’un député macroniste, en l’occurrence Eric Bothorel, élu Renaissance des Côtes-d’Armor. Ils sont désormais caducs : la cagnotte de soutien au policier auteur du tir mortel sur Nahel a dépassé le million d’euros ce lundi 3 juillet à la mi-journée. Avec 42 514 contributeurs, le don moyen est de 23,5 euros. Moins disert, le préfet de police Laurent Nunez a expliqué dimanche 2 juillet qu’il n’avait «aucun commentaire à faire» sur cette collecte lancée au profit du policier mis en examen après la mort de Nahel à Nanterre.

Car l’idée de cette cagnotte ne vient pas de n’importe qui : Jean Messiha, soutien d’Eric Zemmour et agitateur approximatif des plateaux de télévision, en est à l’origine. «Soutien pour la famille du policier de Nanterre, Florian. M qui a fait son travail et qui paie aujourd’hui le prix fort, est-il ainsi écrit sous une photo d’illustration de motards de la police nationale. Soutenez-le MASSIVEMENT et soutenez nos forces de l’ordre !»

Sur la même ligne qu’une partie de la droite et de l’extrême droite, à l’image d’Eric Ciotti, cette cagnotte relaie l’idée que le policier, mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire, n’aurait fait que son travail. Elle fait donc fi des images choquantes de la vidéo publiée quelques heures après la mort de Nahel, montrant le policier tirer à bout portant sur l’adolescent dans une situation qui ne semble pourtant pas nécessiter une prise de décision aussi radicale. D’ailleurs, le parquet de Nanterre a considéré que «les conditions légales de l’usage de l’arme [n’étaient] pas réunies».

Peu importe. La cagnotte existe et elle dépassait dimanche en milieu de journée les 600 000 euros mais cette somme augmente rapidement. Dans un premier temps, Jean Messiha avait tenté de créer la collecte sur la plateforme Leetchi. Mais le site le plus connu pour les collectes en ligne a décidé de la bloquer quelques heures plus tard, réclamant des documents officiels au créateur. Le représentant de Reconquête s’est alors rabattu sur GoFundMe, une plateforme internationale.».

«Jean Messiha souffle sur les braises, ajoute le député Bothorel sur Twitter. C’est un générateur d’émeutes.» Même indignation du côté de l’élu de la France insoumise, Thomas Portes : «Une cagnotte en ligne a été ouverte par l’extrême droite pour soutenir le policier qui a mis à mort Nahel. […] Elle est même relayée sur les réseaux sociaux par des policiers. 200.00€ (sic) de soutien à un homme qui a tué gratuitement gamin. C’est à vomir.» Dénonçant une mobilisation inique, des internautes encouragent à signaler cette cagnotte massivement afin qu’elle soit annulée par l’opérateur.

La cagnotte de soutien à la famille de Nahel a quant à elle été publiée sur Leetchi et atteignait dimanche 80 000 euros. «Nahel 17 ans est décédé aujourd’hui dans des conditions d’une extrême violence, est-il écrit sous le compteur d’euros. Il laisse dernière lui une mère déchirée par la perte son unique fils. Elle a besoin de notre soutien pour affronter les longues épreuves qui l’attendent.» Au-delà d’une concurrence nauséabonde entre les deux initiatives, reste la question de leur légalité : les familles vont-elles toucher cet argent ?

Le précédent Dettinger

Il y a un précédent, celui du gilet jaune Christophe Dettinger, un boxeur filmé en janvier 2019 en train de se battre à mains nues face à des gendarmes /policiers. Le manifestant s’était rendu lui-même à la police deux jours plus tard. Une cagnotte avait été ouverte sur Leetchi par l’un de ses proches. L’affaire faisant parler, le montant avait rapidement atteint les 145 000 euros. Face au tollé, la plateforme décidait finalement de fermer la cagnotte, invoquant un non-respect de ses conditions générales d’utilisation qui «proscrivent toute incitation à la haine ou à la violence».

Deux ans plus tard, le tribunal judiciaire de Paris prononçait la nullité du contrat conclu avec la société Leetchi. Dans un communiqué, le tribunal expliquait que «la cagnotte a eu, initialement, pour but de soutenir un combat consistant en l’usage de la violence physique contre les forces de l’ordre» et que, «par son projet large», elle avait également pour but de «compenser les condamnations susceptibles d’intervenir à l’avenir». Selon le site d’informations juridiques Dalloz, le tribunal s’appuyait ainsi sur une interprétation «pragmatique» et non littérale de l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 qui dispose qu’ «il est interdit d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d’indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires, en matière criminelle et correctionnelle».

Dans le cas de l’affaire Nahel, il faudra donc passer le but affiché des deux cagnottes afin de déterminer leur légalité. Celle pour Nahel doit servir à la mère de l’adolescent pour «affronter les longues épreuves qui l’attendent». Ce qui, a priori, ne semble pas relever du trouble à l’ordre public. En revanche, la cagnotte de Jean Messiha note, alors qu’une enquête est en cours, que le policier mis en examen «a fait son travail», ce qui pourrait entrer dans la catégorie «trouble à l’ordre public».

Le collectif des Sleeping Giants, qui lutte contre les discours de haine en ligne, semble avoir fait sa religion. Dimanche, ils ont peu ou prou demandé à la plateforme GoFundMe de débrancher la collecte lancée par Messiha. «Pourriez-vous de toute urgence déterminer si cette cagnotte ‘Soutien pour la famille du policier de Nanterre’est inacceptable et très sujette à caution en regard de vos conditions d’utilisation. Rien que le fait qu’elle existe fait exploser le sentiment d’injustice et nourrit les tensions», écrivent-ils sur Twitter.

Les conditions d’utilisation de GoFundMe précisent que les cagnottes visant à récolter des fonds pour «la défense juridique des crimes financiers et violents présumés» sont interdites. Mais lundi 3 juillet au matin, l’entreprise américaine a assuré à plusieurs médias que la cagnotte est «conforme à [ses] conditions d’utilisation car les fonds seront versés directement à la famille en question. La famille a été ajoutée comme bénéficiaire et donc les fonds leur seront directement versés.»

Mise à jour lundi à 12h20 avec la position de GoFundMe.