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Justice

Mort de Rémi Fraisse : dans un arrêt timoré, la CEDH condamne la France pour violation du droit à la vie

Sivens, barrage morteldossier
La juridiction européenne a retenu, dans sa décision rendue ce jeudi 27 février, «des lacunes du cadre juridique et administratif» et «des défaillances de l’encadrement». Le militant écologiste avait été tué en octobre 2014 par l’explosion d’une grenade lancée par un gendarme mobile.
Lors d'une manifestation après la mort de Rémi Fraisse, à Toulouse, le 1er novembre 2014. (Christian Bellavia/Libération)
publié le 27 février 2025 à 10h31
(mis à jour le 27 février 2025 à 11h16)

Plus de dix ans après la mort de Rémi Fraisse, tué par une grenade lancée par un gendarme mobile, une juridiction reconnaît, pour la première fois, une faute de l’Etat. Dans un arrêt rendu ce jeudi 27 février, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) estime que la France a violé le droit à la vie dans l’affaire de la mort de ce militant écologiste en 2014. Cet étudiant de 21 ans avait été tué dans la nuit du 25 au 26 octobre, à Sivens (Tarn), par l’explosion sur son dos d’une grenade dite OF-F1, notamment composée d’une charge de TNT.

Des activistes s’étaient installés sur les lieux prévus pour la construction d’un barrage qui aurait conduit à la destruction de plusieurs hectares de zones humides, des lieux essentiels à la biodiversité. Un projet qui a finalement été abandonné. Sur ordre de la préfecture, les gendarmes mobiles avaient tenté de les déloger et de les empêcher d’atteindre une zone où était stocké du matériel de chantier. Des affrontements avaient alors eu lieu.

Responsabilité du pouvoir politique

Dans son arrêt, la CEDH ne se prononce pas sur la responsabilité pénale du gendarme auteur du jet de la grenade mortelle, ce n’est pas son rôle. Elle retient la responsabilité du pouvoir politique et de la chaîne de commandement qui n’a pas correctement encadré l’usage de cette arme. «En raison des lacunes du cadre juridique et administratif alors applicable et des défaillances de l’encadrement dans la préparation et la conduite des opérations litigieuses, le niveau de protection requis dans le cas d’un recours à une force potentiellement meurtrière, n’a pas été garanti», explique la juridiction européenne dans un communiqué de presse.

Cette décision de la CEDH est cependant timorée. La cour estime, comme les juridictions nationales, que «les circonstances étaient réunies pour déclencher l’emploi de la force par les gendarmes, et notamment par le maréchal des logis-chef» auteur du lancement de grenade. La juridiction européenne critique cependant la législation en vigueur à l’époque, jugée trop imprécise «pour déterminer en pratique quelle arme était la mieux adaptée à la menace». Une situation qui «laissait les gendarmes mobiles en opération de maintien de l’ordre dans le flou […], la réglementation applicable à cette époque n’était ni complète ni suffisamment précise pour permettre un usage réellement gradué de la force».

La CEDH relève aussi que la grenade OF-F1 était d’une «dangerosité exceptionnelle» et que «la dotation de ce type d’arme était problématique en raison de l’absence d’un cadre d’emploi précis et protecteur». A cela s’ajoutent, sur le terrain, des «défaillances de la chaîne de commandement, en particulier […] l’absence de l’autorité civile sur les lieux au moment des faits litigieux». Les opérations de maintien de l’ordre nécessitent selon la législation un contrôle des autorités, normalement exercé par les préfectures.

Une grenade ensuite interdite

Le combat des proches de Rémi Fraisse devant les tribunaux s’était conclu, côté judiciaire, par un non-lieu pour le gendarme, à la suite d’une décision de la Cour de cassation en mars 2021. Et seule une responsabilité sans faute de l’Etat avait été reconnue par la cour administrative d’appel de Toulouse, en février 2023. Dans un communiqué, Jean-Pierre Fraisse, le père de l’étudiant, affirme que «les membres du gouvernement de l’époque qui ont donné les ordres ont la responsabilité de la mort de Rémi». Pour son avocat, Arié Alimi, «le refus du dialogue conduit toujours à une situation mortifère».

Dès le début de l’affaire, l’attitude des autorités avait été critiquée. La préfecture du Tarn avait affirmé, le 26 octobre 2014, que «le corps d’un homme a été découvert par les gendarmes sur le site de Sivens», sans préciser les circonstances de la mort, pourtant déjà connues. A la suite de cette affaire, la grenade OF-F1 a été interdite dans les opérations de maintien de l’ordre. Mais cette arme avait été substituée par d’autres munitions également dangereuses, comme les grenades GLI-F4, GM2L et ASSD.