Le mystère entourant la mort de Robert Boulin a beau avoir quarante-six ans, il continue de connaître des soubresauts. Le parquet de Lorient a indiqué, ce lundi 1er septembre, avoir ouvert une enquête pour «violence avec usage d’une arme» après des tirs à Languidic (Morbihan), où réside un témoin dans l’affaire du décès, en 1979, de l’alors ministre du Travail. «L’une des balles est passée à 50 centimètres de moi. On m’a tiré dessus en pleine nuit», dit à Ouest-France, qui révèle l’affaire, Elio D., témoin crucial dans l’affaire et qui dit avoir été visé dans la nuit de vendredi à samedi 30 août.
Selon le média Off Investigation, Elio D., 77 ans, a été la cible de trois coups de feu tirés dans sa direction alors qu’il se trouvait à son domicile et des cartouches ont été retrouvées sur place. «Les services de gendarmerie, avisés par le plaignant, se sont transportés immédiatement sur les lieux et ont procédé aux constatations et prélèvements nécessaires. Le requérant n’a pas été blessé, a précisé Yann Richard, vice-procureur du parquet de Lorient. Des investigations sont en cours pour vérifier les circonstances dans lesquelles ces coups de feu auraient été tirés.»
Témoin de premier ordre
A Ouest-France, Elio D. raconte plus en détail les événements. Vers 1 heure du matin, son chien se serait mis à aboyer avec force. De quoi lui faire ouvrir la porte de son domicile et voir une première silhouette, que son chien approche. Elio D. rappelle alors son animal et cherche à retourner chez lui. «Lorsque j’ai voulu rentrer avec mon chien, c’est là qu’il y a eu un premier tir alors que j’étais de dos, raconte le septuagénaire. Puis deux autres. Il y avait un deuxième individu caché derrière ma voiture.» Il en est convaincu : ces tirs ont un lien avec son témoignage dans l’affaire dans la mort de Robert Boulin.
Elio D. est entré dans ce dossier il y a près de deux ans. «Un jour de mars 2024, j’ai reçu un message Facebook, c’était un homme qui affirmait avoir fourni il y a quelques mois un témoignage très important à la justice», avait raconté à Libé Fabienne Boulin-Burgeat, la fille du ministre retrouvé mort en octobre 1979 en forêt de Rambouillet (Yvelines), dans un étang profond de 50 cm. Cet homme, c’est Elio D., qui a apporté son témoignage dans le cadre de l’information judiciaire pour «arrestation, enlèvement et séquestration suivis de mort ou assassinat» ouverte en 2015 après des décennies d’acharnement de la famille de l’ancien élu du RPR.
L’ombre du SAC sur la mort de Robert Boulin
Si l’enquête menée par le SRPJ de Versailles avait conclu quasi instantanément à un suicide, les proches n’ont jamais cru à cette thèse. Ils ont été confortés par plusieurs responsables politiques audacieux, puis des enquêtes pointues de journalistes d’investigation, notamment celles de Benoît Collombat, de France Inter, et qui pointent vers la thèse du meurtre. Elio D. est venu apporter de l’eau à ce moulin.
A la justice, le vieil homme a raconté s’être retrouvé, deux jours après la mort de Boulin, à la table de Pierre Debizet, une des figures du SAC, le service d’action civique créé par le général de Gaulle. Debizet aurait reproché à deux inconnus présents d’avoir causé le décès du ministre. Le témoin comprend que c’est Charles Pasqua, l’un des premiers dirigeants du SAC et artisan de la montée en puissance politique de Jacques Chirac, qui aurait ordonné de «filer une danse» à l’homme politique. Boulin aurait pris peur et serait mort d’une crise cardiaque avant d’être jeté dans l’étang. Elio D. avait pris soin de relever la plaque d’immatriculation de l’individu visé par le reproche, permettant ainsi aux enquêteurs de lui donner une identité plus de quarante ans plus tard : celle d’un «truand», Henri Geliot, décédé en 1986.
Est-ce ce témoignage qui vaut à Elio D. les tirs de ce week-end ? Contactée par Ouest-France, Fabienne Boulin-Burgeat dit en tout cas que «c’est très courageux de la part de cet homme de continuer à vouloir témoigner dans ces conditions».