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Marseille

Mort de Souheil lors d’un contrôle de police: la famille dépose plainte contre un agent de l’IGPN

Les avocats de la famille El Khalfaoui, Arié Alimi et Raphaël Kempf, sont très critiques à l’égard de l’enquête de la police des polices sur l’homicide du jeune homme en août dernier, d’abord classée sans suite par le parquet de Marseille. Parmi les nombreux griefs : la disparition, dans la procédure, de vidéos filmées près du drame.
L'avocat de la famille de Souheil El Khalfaoui, Arié Alimi, en visite sur les lieux du drame pour intéroger des témoins, le 2 février. (Olivier Monge/Myop pour Libération)
par Fabien Leboucq et Samantha Rouchard, correspondance à Marseille
publié le 9 février 2022 à 18h17

L’avocat Arié Alimi n’a pas de mots assez durs contre l’enquête sur la mort de Souheil El Khalfaoui, tué par un policier lors d’un contrôle en août dernier, dans le quartier marseillais de la Belle-de-Mai. Avec son confrère Raphaël Kempf, ils représentent la famille du jeune homme et ont obtenu que le parquet, qui avait conclu à la légitime défense du policier mis en cause, rouvre l’enquête. Ce mercredi, les avocats ont aussi annoncé le dépôt d’une plainte pour «obstruction à la manifestation de la vérité» contre un des enquêteurs. Ils souhaitent également dépayser le dossier. «Je ne demande que la vérité», commence Issam El Khalfaoui, le père de Souheil. Aux côtés de la tante du jeune homme et de leurs avocats, il reste calme lors de la conférence de presse. Mais dès qu’elle se finit, ses yeux s’embuent.

«La procédure incomplète»

Le 4 août 2021, un peu après 18 h 30, Souheil El Khalfaoui est contrôlé au volant d’une Mégane noire, à l’angle des rues Bonnardel et Fortuné-Jourdan, dans le 3e arrondissement de Marseille. Il n’a pas le permis, le véhicule n’est pas assuré. Comme la veille dans des circonstances semblables, il tente de prendre la fuite. Cette fois, en marche arrière, il percute un policier. Un autre agent ouvre alors le feu avec son arme de service et tue le jeune homme d’une balle dans le thorax.

Le 15 décembre, à la suite de l’enquête de l’IGPN, le parquet de Marseille classait le dossier sans suite, au motif de la légitime défense. «La procédure n’a pas été complète», ont objecté les avocats de la famille El Khalfaoui au cours de la conférence de presse. Pour Arié Alimi, des éléments indispensables manquent : «On ne sait pas, à la lecture du dossier, à quel moment le tir a été effectué et quel était le positionnement exact du policier qui était censé être danger.» Celui-ci ayant «effectivement été touché à la jambe par le véhicule», admet l’avocat, tout en estimant que l’agent n’a pas été «écrasé» – le policier déclare aussi lors d’une audition avoir été «traîné», ce que récuse la famille El Khalfaoui. «En termes de légitimité, la nécessité [de tirer sur Souheil] nous semble compliquée alors même que la voiture est en train de partir», affirme Arié Alimi.

Dans le viseur des avocats : le fait que des témoins n’auraient pas ou mal été interrogés par l’IGPN. Sans compter un imbroglio autour des vidéos récupérées par l’un des enquêteurs auprès de l’agence bancaire Caisse d’épargne située juste en face du lieu du drame. D’après le procès-verbal figurant dans le dossier et consulté par Libération, six fichiers vidéo sont remis par la banque à la police des polices. Au terme des visionnages, le policier conclut que seulement deux vidéos peuvent servir à son enquête et les placent sous scellé, les autres documents ne montrant pas la scène, selon son procès-verbal.

Vidéos introuvables

Début février, Issam El Khalfaoui et son avocat rendent visite au procureur, qui leur donne accès au dossier. Passé les problèmes techniques, ils constatent avec le magistrat que les autres vidéos sont introuvables, même sur les serveurs de l’IGPN, alors qu’elles sont censées y avoir transité, puisque l’IGPN écrit les avoir visionnées : «Seuls trois fichiers y figurent, en lieu et place des six remis» par la banque, écrit le procureur dans un procès-verbal consulté par Libé. A la suite de cette rencontre, le parquet de Marseille déclarait adresser «une demande de complément d’enquête à l’IGPN». Un terme qui agace Arié Alimi : «un complément d’enquête, ça n’existe pas à ce stade de la procédure, c’est une réouverture d’enquête.»

Les avocats de la famille El Khalfaoui ont donc décidé de porter plainte pour «obstruction à la manifestation de la vérité», notamment contre l’enquêteur de l’IGPN. Selon la plainte, «la disparition de certaines vidéos remises par la Caisse d’épargne est préjudiciable en ce que la position dans laquelle [le policier] dit avoir tiré est contredite par certains éléments de l’enquête [et] leurs exploitations auraient pu permettre de constater la position dans laquelle [le policier blessé] se trouvait lorsque [son collègue] a tiré».

«On ne sait pas si ces éléments nous apporterons la vérité, s’ils sont orientés vers la scène elle-même, puisque de toute manière ils n’existent plus», s’emporte Arié Alimi. L’avocat, pour qui la disparition de ces vidéos n’est qu’«un élément parmi une succession de manquements et d’omissions dans la procédure», demande également avec son confrère Raphaël Kempf que l’affaire soit dépaysée à Paris.