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Justice

Mort de Steve Maia Caniço à Nantes : le commissaire relaxé

Affaire Steve Caniçodossier
Grégoire Chassaing, à la tête de l’intervention policière concomitante à la noyade du jeune homme le soir de la Fête de la musique 2019 à Nantes, a été relaxé ce vendredi 20 septembre. Il était le seul à devoir répondre de ces faits.
Rassemblement en hommage à Steve Maia Caniço, à Nantes, le 3 août 2019, quelques jours après la découverte de son corps. (Cyril Zannettacci/VU' pour Libération)
publié le 20 septembre 2024 à 14h39
(mis à jour le 20 septembre 2024 à 16h58)

Une déception pour la famille, un soulagement pour l’institution policière. Le commissaire Grégoire Chassaing, seul poursuivi pour la mort de Steve Maia Caniço, noyé dans la Loire après une intervention de la police durant la Fête de la musique à Nantes, dans la nuit du 21 au 22 juin 2019, a été relaxé ce vendredi 20 septembre après-midi par le tribunal correctionnel de Rennes. La justice a estimé que le commissaire de 54 ans, qui était poursuivi pour «homicide involontaire», n’avait pas commis de «faute caractérisée» ayant pu aboutir à la chute du jeune homme dans le fleuve.

Le 14 juin, au dernier jour de son procès, l’accusation avait pourtant requis la condamnation sans ambiguïté du fonctionnaire de police de 54 ans. C’est lui «qui a conduit une action collective, laquelle a créé la situation qui a abouti in fine au décès de Steve», animateur périscolaire de 24 ans, avait estimé le procureur, Philippe Astruc. Il s’était contenté de demander «une peine de principe», sans fixer de quantum. En l’absence de circonstances aggravantes, l’homicide involontaire est passible d’une peine maximale de 3 ans de prison et de 45 000 euros d’amende.

Circonstances atténuantes

Or, le ministère public a bel et bien trouvé des circonstances atténuantes au commissaire chargé de la sécurisation du site : les policiers sous ses ordres ont de leur propre initiative lancé une dizaine de grenades lacrymogènes en réponse à des jets de projectiles de fêtards refusant que la musique s’arrête à l’heure convenue, 4 heures du matin.

Des agents présents lors de la chute du jeune homme jusqu’au patron de la police nationale, tous les échelons de l’institution avaient fait bloc derrière le commissaire lors du procès. Les policiers présents lors de l’intervention ont assuré avoir agi «en légitime défense», sans que des instructions soient nécessaires, rappelant les tensions créées à l’époque par le mouvement des gilets jaunes. S’en était suivi un mouvement de foule qui avait provoqué la chute dans la Loire de cinq personnes, dont Steve Maia Caniço, qui ne savait pas nager et avait selon ses proches la phobie de l’eau depuis l’enfance.

Le procureur Astruc avait aussi déploré le fait que le commissaire Chassaing soit le seul à se retrouver sur le banc des prévenus pour la noyade de Steve, «ce qui n’était pas l’option défendue par le ministère public». Plusieurs personnalités avaient été placées sous le statut de témoin assisté ou mises en examen lors de l’enquête, dont le préfet de l’époque et la maire de Nantes, avant de bénéficier d’un non-lieu.

Selon ses avocats, Grégoire Chassaing, âgé de 54 ans et désormais chef de circonscription à Lyon, n’a pas commis les fautes reprochées par l’accusation : «à aucun moment» il n’a manifesté une envie d’en découdre avec le DJ qui avait remis le son malgré ses demandes, et «il ne peut pas empêcher la réaction individuelle de ses hommes» qui tirent des grenades lacrymogènes en réaction aux projectiles. «Je n’ai pas tout maîtrisé», avait reconnu le fonctionnaire lors du procès, mais «qui aurait été irréprochable dans de telles conditions ?» Sa défense avait réclamé la relaxe, Me Louis Cailliez demandant aux trois magistrates de ne pas «ajouter une injustice à tout ce qui s’est passé ce soir-là».

«Défauts de prévision, imprudences et manquements»

Joint par Libération après le rendu du jugement, l’avocat de la défense, Louis Cailliez, évoque «un immense soulagement et une délivrance» et estime que «le dossier s’est dégonflé lors de l’audience». Il salue «la décision parfaitement motivée» d’«un tribunal qui a résisté à la pression» populaire et médiatique. «Le tribunal a non seulement considéré qu’il n’y a pas eu de faute grave de la part de Grégoire Chassaing, mais il a aussi dit qu’il n’a pas commis de faute tout court. De ce point de vue là, c’est tout ce qu’on espérait», ajoute-t-il.

Les avocats des proches de Steve émettent quant à eux le souhait que le parquet fasse appel de cette relaxe. «Il y a des éléments techniques qui ne semblent pas avoir été pris en compte à ce stade par le tribunal», a déclaré aux journalistes Me Cécile de Oliveira, rappelant que «la décision de première instance n’est pas définitive à ce stade».

Lors de l’audience, les avocats de la famille de Steve ont pointé «une succession de défauts de prévision, d’imprudences, de manquements d’anticipation [qui] ont conduit à cette tragédie», estimant que les policiers ont été «d’une certaine façon» livrés à eux-mêmes ce soir-là. Au cours du procès, sa famille avait décrit un jeune homme «hypersensible», qui adorait ses amis, la musique, et détestait la violence.

L’enquête a permis de déterminer que la chute de Steve avait eu lieu à un endroit du quai sans barrière à 4h33 et 14 secondes, soit deux minutes après les premiers tirs de grenades des policiers. Pris dans un épais nuage de fumée de gaz lacrymogènes, plusieurs fêtards avaient fait une chute de 5 à 6 mètres dans une eau à 21°C. Certains avaient été récupérés par un canot de secours nautique, spécialement prévu pour la nuit. Mais Steve Maia Caniço n’avait pu rejoindre le quai. Pendant plus d’un mois, ses amis demandaient «où est Steve ?», avant que le corps du jeune homme réapparaisse, découvert par le pilote d’une navette fluviale.

Mise à jour : à 16h03 avec la réaction de l’avocat de Grégoire Chassaing.

Mise à jour : à 16h58 avec la réaction des avocats des parties civiles.