Un simple téléphone portable. La policière mise en examen pour homicide volontaire, pour avoir tiré le 9 juin sur Sulivan Sauvey, 19 ans, alors qu’il tentait d’échapper à pied à un contrôle routier, a dévoilé aux enquêteurs vendredi 21 juin sa version des faits. D’après ses déclarations, révélées par le Parisien et le Monde, la fonctionnaire de 46 ans se serait «sentie en danger». Elle raconte : «Il avait quelque chose dans sa main, pour moi c’était une arme de poing. Sa main venait de l’arrière ou au niveau de la poche de son pantalon dans ma direction. Ce n’était pas un geste naturel de course, pour moi je l’ai interprété comme étant une sortie d’arme. Je me suis sentie en danger, j’ai eu peur.» Avant de réaliser qu’il ne portait pas une arme dans sa main, mais bien un téléphone.
Refus d'obtempérer
Elle reconnaît, devant les enquêteurs, avoir tiré sans sommation. Elle avance «un tir de riposte» sous «l’effet de surprise». Pour autant, elle admet avoir entendu un de ses collègues crier à l’attention du fuyard : «Arrête ou je te tase». «Je n’ai pas eu le temps d’hésiter», indique-t-elle. Pour ce dossier, l’inspection générale de la Police nationale (IPGN) conclut à un usage non réglementaire de l’arme, s’appuyant notamment sur la différence de perception du danger par les deux agents de police : «l’usage de cette arme de force intermédiaire [le taser, ndlr], non létale, s’inscrivait parfaitement dans le cadre de nécessité et respectait l’exigence de proportionnalité de la menace». Contrairement à la réaction de la fonctionnaire, jugée, donc, disproportionnée.
Ses révélations, en pleine enquête, n’ont pas manqué de faire réagir le parquet de Coutances, dans la Manche, en charge de l’instruction. Auprès de France 3 Normandie, le procureur de la République, Gauthier Poupeau, «confirme» les propos tenus par la policière mais se dit «consterné de la violation du secret de l’instruction puisqu’il aura été remis aux journalistes du Monde et du Parisien la copie de la procédure».
Tentatives de suicide
Ce document nous apprend par ailleurs que la garde à vue de la fonctionnaire n’a pas pu être réalisée juste après les faits, car, «en état de choc», elle aurait d’abord été conduite à l’hôpital, «au vu de son état psychologique connu du service». D’après le procès-verbal de l’IGPN, cette policière aurait fait, par le passé, plusieurs tentatives de suicide, dont une sur son lieu de travail. Elle avait été marquée par la mort de deux gardiens de la paix, un collègue lors des attentats de 2015, et son beau-frère en 2020. Il y a trois ans, cinq expertises auraient été réalisées avant qu’elle ne soit autorisée à reprendre du service, a fortiori armée.
D’autre part d’ombres restent encore à éclaircir. Selon les informations de nos confrères, le document mentionne qu’il n’y a pas eu de «dépistage en matière d’alcoolémie et stupéfiants ni de tamponnoir pour la recherche de résidus de tirs sur ses mains et /ou ses vêtements», au moment des faits. Les analyses auraient été effectuées plus tard, mais la policière se serait lavé les mains entre temps. De plus, sans suivi de traitement médical, la gardienne de la paix était-elle vraiment apte à exercer son métier ? «Je suis dévastée par cette intervention», a-t-elle déclaré au juge. «Mon intention ce n’était pas d’ôter la vie.» Fait extrêmement rare pour une personne mise en examen pour meurtre, la policière a été laissée en liberté (sous contrôle judiciaire strict), malgré les demandes en ce sens du juge d’instruction et du parquet.
Trois jours après la mort de Sulivan, quelque 600 personnes, selon la préfecture, avait défilé dans les rues de Cherbourg lors d’une marche blanche en hommage au jeune homme. Dans la nuit de samedi 15 à dimanche 16 juin, des violences ont éclaté dans la ville. Près de 300 personnes étaient présentes à ses obsèques ce mercredi.