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Justice

Mort d’Yvan Colonna : nouvelle enquête judiciaire ouverte, pour suppression de données informatiques

Interrogée par une commission d’enquête parlementaire, une agent pénitentiaire avait expliqué avoir saisi des informations concernant le «changement d’attitude» du meurtrier du militant indépendantiste. Ces informations ne figurant pas dans le logiciel de gestion des détenus, deux députés ont effectué un signalement au procureur.
Une marche en mémoire d'Yvan Colonna, à Bastia, en mars 2022. (Pascal Pochard Casabianca/AFP)
publié le 30 juillet 2023 à 12h07

Sur le plan judiciaire, un nouveau sous-dossier s’ouvre concernant la mort d’Yvan Colonna. En mars 2022, le militant indépendantiste est tué par un codétenu islamiste, Franck Elong Abé, à la maison centrale d’Arles (Bouches-du-Rhône). Pour ces faits, une enquête, menée par la sous-direction antiterroriste, est ouverte du chef d’«assassinat en relation avec une entreprise terroriste». Vendredi 28 juillet, le parquet de Tarascon ouvrait une procédure distincte, pour suppression de données informatiques dans un système de traitement automatisé mis en œuvre par l’Etat. Ces investigations sont confiées à la police judiciaire de Marseille.

Cette enquête préliminaire fait suite au signalement de deux députés corses : Jean-Félix Acquaviva (Liot) et Laurent Marcangeli (Horizons), respectivement président et rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur l’agression mortelle du militant indépendantiste. Parmi leurs conclusions, rendues en mai, les deux parlementaires relevaient l’existence de «dysfonctionnement majeur» et un «possible effacement volontaire de données» sur l’agresseur d’Yvan Colonna. Au titre de l’article 40 du code de procédure pénale (disposant qu’une autorité constituée ayant connaissance d’un crime ou d’un délit doit en aviser le procureur), les deux élus ont écrit au procureur de Tarascon un courrier, daté du 5 juillet et publié sur Twitter.

Pourquoi ce signalement ? Lors de son audition par la commission d’enquête, une surveillante de la maison d’arrêt d’Arles indiquait à plusieurs reprises avoir «reporté dans le logiciel Genesis [de traitement de données sur les détenus, ndlr] des faits importants», notamment un «changement d’attitude» de Franck Elong Abé, selon le courrier des députés. «Cependant, nous avons pu constater que ces observations ne figurent ni dans le logiciel de surveillance Genesis ni dans l’onglet complémentaire transmis par la direction de l’administration pénitentiaire», écrivent les élus.

Dans leur rapport, les deux parlementaires corses rapportaient les déclarations de cette agent pénitentiaire. Elle expliquait avoir saisi les «informations concernant le fait que M. Elong Abé avait vidé une partie de sa cellule […] dans une observation dans le logiciel Genesis», en concédant toutefois qu’elle avait peut-être «mal validé ou fait une mauvaise manipulation».

«Erreur humaine» ou «effacement»

Au détour d’une question posée par le président de la commission d’enquête, Jean-Félix Acquaviva, celui-ci résumait les pistes possibles : «Lors de son audition, à quatre reprises, il est demandé à la surveillante si elle a inscrit ses observations dans le logiciel et elle répond positivement à chaque fois. Or nous n’en avons trouvé aucune trace. Soit il s’agit d’une erreur humaine qu’il faut purger ; soit il convient de rechercher les marques d’un éventuel effacement de ses observations.» Et d’ajouter, prévoyant déjà que la justice se pencherait sur ce point, qu’il reviendrait «à l’enquête judiciaire de le déterminer».

Dans son rapport, la commission d’enquête sur l’agression mortelle du militant indépendantiste condamné pour l’assassinat du préfet Erignac avait pointé de «graves défaillances» dans l’appréciation de la dangerosité de Franck Elong Abé et, à l’inverse, une «rigueur» excessive à l’égard d’Yvan Colonna, ainsi que des «dysfonctionnements» d’ordre général. Lors de la conférence de presse présentant leurs conclusions, le président de la commission, Jean-Félix Acquaviva, évoquait des «zones d’ombre» dans cette affaire, quitte à flirter avec le complotisme : il y aurait selon lui «quelque chose de profond et de commandité», nourri par la «rancœur» de «certaines sphères de l’Etat» envers le nationalisme corse.

Moins polémique, un autre rapport, administratif celui-là, avait relevé les erreurs et manquements qui avaient créé les conditions favorables au meurtre. Emanant de l’Inspection générale de la justice, il concluait à un «net défaut de vigilance du surveillant» proche des faits, à une «mauvaise exploitation des images des caméras de vidéosurveillance» et à «l’absence, à plusieurs reprises, d’orientation de [Franck Elong Abé] en quartier d’évaluation de la radicalisation» au cours des mois précédant le meurtre.