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Justice

Nadia El Bouroumi, l’avocate polémique du procès de Mazan, condamnée à un an de suspension avec sursis

Le conseil régional de discipline de la cour d’appel de Nîmes a annoncé la condamnation à un an de suspension avec sursis de l’avocate. Les faits qui lui étaient reprochés étaient antérieurs au procès de Mazan, où elle s’était distinguée par des sorties controversées.
Nadia El Bouroumi devant le tribunal d'Avignon, le 13 décembre 2024. (Laurent Couste/ABACA)
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille et Juliette Delage
publié le 22 avril 2025 à 12h52
(mis à jour le 23 avril 2025 à 20h20)

Elle s’en défend, mais l’hypothèse n’est pas totalement à exclure. En tout cas, si Nadia El Bouroumi voulait se faire un nom, c’est réussi. Quatre mois après la clôture du procès des viols de Mazan, où l’avocate avignonnaise de 46 ans, qui défendait deux des 50 accusés jugés aux côtés de Dominique Pelicot, avait multiplié les outrances, le conseil régional de discipline de la cour d’appel de Nîmes l’a condamnée ce mercredi 23 février à un an de suspension avec sursis, selon les informations d’Ici Vaucluse (ex-France Bleu). Une peine moins sévère que celle de dix-huit mois de suspension requise par l’avocat général lors de l’audience, qui s’est tenue le 19 février dernier.

C’est pour des faits antérieurs au procès de Mazan qu’une procédure disciplinaire avait été lancée, à l’initiative du barreau d’Avignon. En cause, des images qui auraient pu être tournées entre 2021 et 2023 lors d’audiences, ce qui est strictement interdit, mais aussi des questions déontologiques en lien avec la création de sociétés de coaching en «développement personnel et professionnel». Nadia El Bouroumi a ainsi été reconnue coupable d’avoir «contrevenu aux règles déontologiques de la profession d’avocat en étant actionnaire majoritaire d’une société commerciale dispensant des prestations de coaching alors que cette activité n’est pas connexe à la profession d’avocat» et d’avoir été «présidente d’une société commerciale dont l’objet social couvre les activités de la profession d’avocat sans être ni inscrite au barreau ni assujettie à ses règles».

L’avocate devra par ailleurs suivre 20 heures de formation en déontologie et ne pourra plus faire partie de l’ordre des avocats ni du conseil national du barreau. En revanche, le conseil de discipline l’a relaxée pour la publication de photos d’audiences sur les réseaux sociaux. Nadia El Bouroumi a d’ores et déjà indiqué à nos confères d’Ici Vaucluse par la voix de son avocate qu’elle allait faire appel de sa condamnation.

Pour les sorties controversées de la quadragénaire lors du procès des viols de Mazan, aucune procédure disciplinaire n’a pour l’heure été engagée. L’avocate s’était fait remarquer dès les premiers jours d’audience, multipliant les réactions courroucées au motif que les droits de la défense étaient bafoués, ou malmenant la victime, parfois en hurlant, sous les yeux médusés des journalistes qui la découvraient.

«La liberté d’expression de l’avocat est fondamentale»

C’est le 18 septembre, alors que des photos intimes de Gisèle Pelicot sont diffusées pour la première fois dans la salle, que l’avocate révèle la tonalité de sa défense, ses deux clients plaidant non coupable. Elle ne lâche pas Gisèle Pelicot du regard, l’assène d’interrogations la mettant en porte-à-faux, lui coupant la parole encore et encore. Elle lui reproche, par exemple, d’avoir accepté la diffusion en audience des vidéos de ses viols – «Moi, je suis une femme, je suis gênée» –, pointe du doigt des photos d’elle en sous-vêtements – «Est-ce que vous pouvez admettre que des hommes, en recevant des photos comme celles-là sur le site Coco.fr, aient pu imaginer que vous seriez quelqu’un qui accepterait de faire un jeu sexuel ?»… Gisèle Pelicot avait fini par exploser : «On cherche quoi dans cette salle ? A ce que je sois coupable ?» Avant le début de la reprise de l’audience ce jour-là, Nadia El Bouroumi, s’était tournée en souriant vers le banc des journalistes en chuchotant : «Vous saviez que l’immobilier avait chuté à Mazan

Au-delà de ses offensives à l’audience, ce sont surtout ses vidéos, postées sur TikTok et sur son compte Instagram aux 52 000 abonnés, qui ont gonflé sa notoriété à l’extérieur du palais de justice. Le 20 septembre, alors que le procès entre dans sa troisième semaine, elle se met en scène dans sa voiture dansant sur le titre de Wham ! Wake me up before you go – traduire «réveille-moi avant de partir» – alors même que la question de la soumission chimique de la victime, droguée jusqu’à l’endormissement par son mari avant d’être violée par des inconnus, est au cœur du procès.

Face au tollé général, Nadia El Bouroumi plaide la mauvaise interprétation – la chanson aurait été choisie «au hasard» dans sa playlist et s’adressait à ceux qui cherchaient à la «museler» –, et dénonce le «harcèlement» dont elle se dit victime. Sur le coup, le bâtonnier d’Avignon, Philippe Cano, avait choisi de temporiser : «La liberté d’expression de l’avocat est fondamentale dans l’exercice des droits de la défense, tant pendant un procès qu’en dehors d’une salle d’audience», écrivait-il dans un communiqué, pointant tout de même la nécessité du «respect des règles déontologiques» de la profession. Et le bâtonnier d’évacuer, pour l’heure en tout cas, la question d’une éventuelle procédure disciplinaire, qui «ne saurait avoir lieu sous le coup de quelque pression que ce soit».

«Avocate influenceuse ? J’assume !»

L’épisode houleux n’ébranle pas pour autant la stratégie de communication de la fougueuse avocate, toujours active sur les réseaux où elle met en avant son parcours atypique d’ex-coiffeuse ayant dû «casser les barrières» pour enfiler la robe noire. «Avocate influenceuse ? J’assume !» assure-t-elle encore quelques semaines plus tard sur son Instagram, se défendant de tout désir de lumière : «Quand j’ai lancé ce compte, mon but était de rendre le droit accessible à tous. […] Fille d’immigrés issue d’un quartier, je me disais que si j’avais réussi, tout le monde le pouvait aussi !»

Son dernier post, quelques jours après son audition par le conseil de discipline le 19 février, se résume à un «rappel» : «L’action m’a sauvée, les mots m’ont apaisée !» Ses avocats ont d’ores et déjà annoncé que si la décision de suspension était actée, ils feraient appel.

Mis à jour le 23 avril à 20 heures avec la décision du Conseil régional de discipline de la cour d’appel de Nîmes.