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Libération
Long combat

Naufrage du «Bugaled Breizh» : «J’ai grandi en regardant l’Etat se bunkériser dans le silence»

Plus de vingt ans après le naufrage toujours inexpliqué du chalutier dans la Manche, qui a causé la mort de cinq marins en 2004, des militants ont mené une action devant Matignon, ce 28 mai, pour exiger des réponses.
L'épave du «Bugaled Breizh» en janvier 2023 dans le port militaire de Brest, dans le Finistère. (Fred Tanneau/AFP)
par Léna Lebouteiller
publié le 28 mai 2025 à 17h09

A l’angle de la rue de Varenne, à quelques pas de l’hôtel de Matignon, à Paris, six personnes tiennent une banderole. «Yves, Georges, Pascal, Patrick, Eric, on ne vous oublie pas !» lit-on en lettres capitales. Le 15 janvier 2004, ces cinq marins mouraient dans le naufrage de leur chalutier, le Bugaled Breizh, dans la Manche. Le bateau de 24 mètres de long, parti du Finistère, avait coulé en 37 secondes, ne laissant aucune chance aux marins à bord de sauver leur peau.

En vingt ans de procédures judiciaires, entamées en France et au Royaume-Uni (le naufrage ayant eu lieu dans les eaux territoriales britanniques), plusieurs thèses ont été explorées : l’abordage par un navire marchand, l’accident de pêche puis la collision avec un sous-marin. La France avait conclu à un non-lieu en 2016, avant que Londres ne retienne la thèse douteuse de l’accident de pêche en 2021. Scénario auquel n’ont jamais cru les familles des victimes.

«Donner la vérité aux familles»

«On sait très bien que le Bugaled Breizh a coulé non pas à cause d’une croche molle [l’accrochage du chalut dans un banc de sable, ndlr], mais à cause d’un sous-marin», clame Dominique Launay, président de l’association SOS Bugaled Breizh, face aux quelques journalistes venus ce mercredi 28 mai devant Matignon. Aujourd’hui, tous les recours judiciaires sont écoulés ; ne reste plus que l’action politique. «Maintenant, c’est au gouvernement de prendre ses responsabilités pour donner la vérité aux familles», déclare le retraité, chargé de représenter les familles des victimes.

L’Union démocratique bretonne (UDB), parti politique de gauche qui dénonce une «omerta» dans cette affaire, a adressé un courrier à tous les Premiers ministres successifs depuis Jean-Pierre Raffarin. «Nous vous demandons de tout faire pour convaincre l’actuel Premier ministre d’agir là où vous n’avez pas souhaité ou pu le faire», lit-on dans la lettre.

Déclassification des archives militaires

Au cours des procès, les parties civiles ne sont jamais parvenues à la déclassification des documents militaires, au motif du secret-défense. «J’ai 37 ans, et j’avais 16 ans à l’époque du Bugaled Breizh, se remémore la porte-parole de l’UDB, Tifenn Siret. J’ai grandi en regardant l’Etat organiser son incompétence, se bunkériser dans le silence et sacrifier la paix des familles.» En avril sur X, l’UDB a demandé au président des Etats-Unis, Donald Trump, la déclassification des archives militaires pour «savoir si oui ou non un nucléaire d’attaque américain se trouvait dans la Manche, le 15 janvier 2004, au moment du naufrage du Bugaled Breizh». Sans obtenir de réponse.

Damien Girard, député écolo du Morbihan, se joint au mouvement de l’UDB. «Je vais faire une question écrite au gouvernement au sujet de la levée du secret-défense, promet-il. On doit une réponse et une reconnaissance aux familles.» L’élu compte également profiter d’une prochaine commission défense pour questionner le préfet maritime de l’Atlantique, Jean-François Quérat, chargé de représenter la France en mer. A son tour, l’eurodéputée espagnole Ana Miranda Paz souhaite interpeller la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans l’espoir que celle-ci pousse la France à agir, vingt et un après le drame.