Une obligation loin d’être généralisée. La Ligue des droits de l’Homme (LDH) et l’association des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) ont annoncé mardi 15 octobre avoir saisi le Conseil d’Etat pour rendre effective l’obligation faite aux forces de l’ordre de porter leur matricule d’identification en intervention et de le rendre plus visible. Depuis 2014, policiers et gendarmes doivent porter sur leur uniforme leur matricule, un numéro d’identification individuel dit RIO (référentiel des identités et de l’organisation). Ces deux associations, comme des victimes de violences, dénoncent depuis des années l’absence de port de ce numéro par de nombreux agents.
«Le Conseil d'Etat, par une décision du 11 octobre 2023, avait accordé 12 mois au gouvernement pour prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir» que le RIO soit «effectivement porté» par les agents «mais aussi qu’il soit agrandi afin d’être rendu réellement visible et lisible en contexte d’intervention», indiquent les deux organisations de défense des droits humains dans un communiqué commun. Or, «un an après, la majorité des agents des forces de l’ordre ne sont toujours pas personnellement identifiables lors de leurs interventions», déplorent la LDH et l’ACAT, appelant le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau à «prouver qu’il respecte l’Etat de droit en exécutant sans délai cette décision de justice». Selon les deux associations, «ne pas porter le RIO, c’est sciemment refuser réparation aux victimes, offrir l’impunité aux agents auteurs d’un usage disproportionné de la force, et les conforter à agir hors-la-loi».
Cette saisine va contraindre l’État à détailler les actions entreprises pour appliquer la décision de la plus haute juridiction administrative. «On a l’impression qu’il ne s’est pas passé grand-chose depuis un an, donc selon la réponse qui sera donnée par le ministère de l’Intérieur, il peut y avoir l’ouverture d’une phase contentieuse, pour apprécier l’exécution de la décision», détaille auprès de Libération l’avocat Patrice Spinosi qui représente les deux associations face à l’administration. Le Conseil d’Etat pourrait alors prononcer de nouvelles injonctions, voire infliger des sanctions financières à l’Etat. Contacté, le cabinet de Bruno Retailleau répond que le «ministère y travaille et termine ses travaux pour répondre aux attentes du Conseil d’État».
«Manquement au devoir d’obéissance»
Selon nos informations, côté police, un groupe de travail a planché ces derniers mois sur une modification de la taille du RIO, et a développé un prototype. L’actuel format - une barrette de 45 millimètres par 12 - jugé trop petit par le Conseil d’État, pourrait être légèrement agrandi. Le modèle sur lequel travaille la police serait environ doublé mais aucun marché public n’a été passé pour l’heure. Cette taille demeurerait toutefois très éloignée des matricules portés en maintien de l’ordre par certaines polices allemandes, souvent citées en exemple car porteuses d’un numéro d’identification parfaitement visible. Les syndicats de police n’ont pas été consultés par le ministère de l’Intérieur sur ce nouveau format, et avaient pour la plupart annoncé dans la foulée de la décision du Conseil d’État qu’ils s’opposeraient à toute évolution.
Ce groupe de travail a également proposé que les agents signent une charte à leur arrivée dans leur service, dans laquelle ils s’engageraient à porter leur matricule. De plus, la liste des comportements susceptibles de constituer un manquement au code de déontologie a évolué depuis un an pour intégrer l’absence de matricule. Selon cette nouvelle classification, l’abstention volontaire de port du RIO peut être qualifiée de «manquement au devoir d’obéissance par violation délibérée d’une règle», tandis que l’oubli peut être qualifié de «négligence professionnelle». Cette évolution n’est toutefois que formelle : le ministère de l’Intérieur pouvait déjà décider d’une sanction en cas de non-port du RIO par le policier. Mais ne l’a jamais fait
La LDH et l’ACAT avaient saisi en 2023 la plus haute juridiction administrative à ce sujet, estimant que policiers et gendarmes avaient fait à maintes reprises un usage «injustifié» ou «disproportionné» de la force pendant les manifestations contre la réforme des retraites, souvent sans qu’il ne soit possible d’identifier les agents, du fait de l’absence (ou de l’invisibilité) du RIO. Après avoir refusé, en mars 2023, d’imposer au ministère de l’Intérieur d’agir dans le cadre d’une action en référé, qui nécessitait donc un caractère d’urgence, le Conseil d’Etat avait donné raison aux requérants en octobre de la même année dans la procédure au fond.
Mise à jour le 16 octobre à 15h55 : ajout de nouvelles informations.