On a cru reconnaître Emmanuel Macron sur l’un des dessins. Que nenni, nous assurent les membres de l’Acat, «toute ressemblance est fortuite». Quand l’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture, qui défend les libertés publiques, nous a contactés pour parler d’un futur jeu de société, cela a directement piqué notre curiosité. Rendez-vous a donc été pris dans un restaurant du XIXe arrondissement pour tester le tout nouveau «On lâche rien !».
Jeu de cartes au fonctionnement proche de la bataille corse, il a été conçu par les équipes de Coco Cherry, un éditeur qui se présente comme «créateur de jeux de société qui secouent». En partenariat avec l’Acat, donc, et la Ligue des droits de l’homme (LDH), elles ont entièrement pensé un jeu de société simple, qui permet de donner des clés de compréhension des pratiques du maintien de l’ordre en France. «Le but n’est pas de faire de la politique mais de rester sur l’angle du droit», explique Louis Lunel de l’Acat, en mélangeant les cartes devant son lait-menthe.
Le drone, carte ultime
On se lance. Ici, trois catégories de cartes se présentent : les policiers, les élus et les manifestants. Mais attention aux pièges. Un des manifestants pourrait être un policier en civil. La carte Brav-M compte double avec ses deux agents, l’un à la moto, l’autre à la matraque. Des combinaisons permettent de remporter des tas de cartes. Deux policiers embarqueront un manifestant. Deux manifestants feront pression sur un élu. Trois élus mèneront à la démission du gouvernement, c’est la force de la rue.
Les visuels, volontairement naïfs, sont signés du dessinateur de bandes dessinées Allan Barthe. Et le diable se cache dans les détails. Certains policiers sur les cartes portent le RIO, la plupart non. Quand une carte gaz lacrymogène tombe, tout le monde doit la couvrir pour se protéger. Le drone, carte ultime, nous surveille sans qu’on ne le sache : il n’a aucun effet quand on le voit, mais il fonctionne quand on ne le voit plus. Les créateurs ont envisagé d’autres mécaniques mais ont préféré faire tester le jeu par des victimes de violences policières.
«On ne veut pas faire polémique avec notre jeu, on veut juste refléter une réalité, développe Emilie Schmidt, responsable programmes et plaidoyer en charge des questions de maintien de l’ordre à l’Acat. On est là pour défendre le respect des droits humains par les forces de l’ordre dans un Etat de droit.» Le jeu est accompagné d’un guide, «Sous les pavés, les mots», qui a pour ambition de décrypter le maintien de l’ordre en France et rappeler les droits de chacun. «On est vraiment sur le maintien de l’ordre, soit sur tout ce qu’il se passe avant qu’une infraction ne soit commise, détaille Louis Lunel. Qu’est-ce qui est mis en place comme dispositif policier, en équipement, en matériel… On ne dit pas qu’il faut armer ou désarmer la police.»
Le jeu se veut moins militant que d’autres initiatives à l’image d’«Antifa» ou de «Kapital», des Pinçon-Charlot. «Antifa était clairement dans une démarche politique, militante. Nous ne faisons pas de l’idéologie. On se revendique droit-de-l’hommistes mais les droits humains n’appartiennent pas à une famille politique en particulier.»
«Provoquer avec humour»
Les deux associations aimeraient que «On lâche rien !» serve à faire des interventions en milieu scolaire. «L’idée de jeu comme outil éducatif privilégié est une idée assez ancienne et régulièrement ravivée, note Michael Freudenthal, en doctorat de sciences de l’éducation au laboratoire Experice de l’université Sorbonne Paris Nord. L’avantage de l’apprentissage par le jeu, par rapport à d’autres activités éducatives ou de loisir, reste encore à démontrer.»
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Spécialiste de la fiction dans les jeux de société, Michael Freudenthal rappelle qu’un jeu de société est avant tout un produit culturel. «Au même titre qu’un livre, une émission télévisée, ou un concert, il peut provoquer des échanges riches. Par exemple, même avant d’y jouer, quand une habituée des manifestations récentes l’offre à un ami qui s’y oppose politiquement, pour lui faire découvrir le sujet ou pour le provoquer avec humour.» D’ailleurs, les règles du jeu stipulent que la dernière personne à s’être rendue en manifestation commence. «Et si vous avez un problème en manifestation, vous pouvez vous souvenir du jeu et des définitions que vous avez lues des arrestations préventives par exemple, vous pourrez connaître vos droits», espère Emilie Schmidt. Et pourquoi ne pas y jouer dans une nasse, tant qu’on y est ? «Si cette scène se passe, je veux absolument les images !»