L’OPA de Veolia sur Suez est dans le collimateur du Parquet national financier (PNF) depuis mi-juin, a-t-on appris ce vendredi. L’enquête a été ouverte dans la foulée d’une plainte déposée par plusieurs syndicats du groupe Suez en avril, suspectant notamment le secrétaire général de l’Elysée et des responsables de Veolia et d’Engie de «trafic d’influence» autour de la fusion en cours entre les deux fleurons de l’eau et des déchets.
Les plaignants – qui représentent la majorité de l’intersyndicale du groupe Suez – dénoncent «l’intervention de l’Elysée bien en amont de l’annonce publique du projet», puis les «pressions régulières et répétées pour faire aboutir» le rapprochement.
La plainte a été déposée le 22 avril auprès du PNF par les syndicats qui soupçonnent le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, le PDG de Veolia, Antoine Frérot, le président du conseil d’administration d’Engie, Jean-Pierre Clamadieu, et le PDG du fonds Meridiam Thierry Déau, de s’être entendus sur la fusion des deux entités, a appris ce vendredi l’AFP de source judiciaire. L’enquête préliminaire du PNF, elle, a été ouverte le 18 juin, a fait savoir à l’AFP une source judiciaire.
Les syndicats font état de plusieurs réunions «impliquant le gouvernement», d’un accord avec Meridiam «en amont de l’annonce du projet», de «l’intervention à différents niveaux de nombreux acteurs proches du pouvoir […], mais surtout l’intervention directe d’Alexis Kohler en octobre 2020 auprès de représentants syndicaux» pour obtenir lors du conseil d’administration d’Engie que Veolia rachète les parts (29,9%) détenues par Suez.
Feuilleton industriel et financier
En mai, un mois après la plainte, l’Union syndicale (CGT-CFDT-CFTC) de Suez, revendiquant 65% de la représentativité du groupe, avait «décidé de mettre en demeure les sociétés Veolia, Engie, Meridiam et Suez de ne pas procéder à la destruction ou à l’altération des documents saisis le 26 novembre 2020 et actuellement sous séquestre».
Ils s’inquiètent alors de voir disparaître «ces documents [qui] pourraient se révéler être des éléments de preuves déterminants permettant d’identifier avec plus de précision le rôle de chacun des acteurs ayant été impliqués» dans le rachat.
«On ne peut que se réjouir que la plainte des syndicats ait été prise au sérieux par le PNF qui ouvre une enquête. Cette enquête doit faire la lumière sur les collusions entre le monde politique et le monde des affaires. C’est malheureusement une spécificité française», a réagi Me Jean-Baptiste Soufron, qui représente avec Me Patrick Rizzo les syndicats à l’origine de la plainte.
Le 30 août 2020 au soir, Antoine Frérot, PDG du numéro 1 mondial de l’eau et des déchets, lançait le feuilleton industriel et financier de l’année en France en présentant à la presse son grand dessein, l’acquisition du rival de toujours. Début octobre 2020, Veolia rachetait auprès d’Engie 29,9% de Suez, avant de lancer une OPA sur le reste des parts, au grand dam de son rival assiégé.
«Champion» de l’eau
Mais après plus de sept mois d’âpres négociations, les dirigeants de Veolia et de Suez s’étaient finalement entendus mi-mai pour que le premier absorbe une bonne part du second et forme un «champion» de l’eau et des déchets pesant 37 milliards d’euros. Fin juillet, Veolia a lancé une offre publique d’achat sur les 70,1% restants.
L’affaire devrait, selon les parties, être soldée d’ici à janvier 2022, donnant naissance à un Veolia renforcé et un à Suez réduit à 40% du groupe actuel. Dans l’intervalle, les autorités de la concurrence devront encore approuver le rachat.
Veolia verra ses effectifs passer de 180 000 à 230 000 salariés, et son chiffre d’affaires de 26 à 37 milliards d’euros. Pour sa part, Suez perdra 60% d’actifs, comptera environ 40 000 salariés et près de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Décotée de la Bourse, l’entreprise, qui gardera sa marque et son siège à la Défense, conservera ses activités en France, et une petite dimension internationale centrée sur l’eau pour se projeter sur de nouveaux marchés.