Un procès sans prévenu, c’est un peu comme un concert sans soliste. Il y a bien les plaidoiries des parties civiles, celle de la défense, la réquisition du procureur. Mais on n’entend pas l’essentiel. Il manque cette confrontation avec l’accusé, ce moment hors sol où il se peut se dire tant de choses. Et cette impression de passer à côté du sujet. Surtout quand il s’agit d’un délit aussi conflictuel que l’antisémitisme, à l’heure des rumeurs de complots à tout va. Ce fut le cas ce mercredi, puisque Cassandre Fristot, ancienne membre du Front National, proche du Parti de France, ne s’est pas présentée à son procès au Tribunal correctionnel de Metz. Où elle était jugée pour «provocation à la haine raciale».
Cette enseignante était convoquée pour avoir brandi, le 7 août dernier lors d’une manifestation contre le pass sanitaire, une pancarte jugée antisémite par de nombreuses associations et par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. On pouvait y lire le nom de treize personnalités, dont certaines connues pour leur confession juive, avec une question «Mais qui ?» ornée de deux cornes de diable, et d’un «traîtres» écrit en lettres blanches, qui ressemble à une réponse. Les seules paroles de Cassandre Fristot nous viennent des procès-verbaux de sa garde à vue. Elle dit avoir voulu «dénoncer les puissants et non porter atteinte à une communauté». Pourtant elle reconnaît tirer son slogan «Mais qui ?» d’un débat sur CNews daté du 18 juin, qui a fait de ces deux mots un nouveau cri de ralliement des milieux antisémites comme l’expliquait Libération. C’est flou, mais encore une fois le box est vide et désespérément silencieux.
Bataille juridique
Le début de l’audience semble brouillon. Parties civiles et défense s’engagent dans une bataille juridique extrêmement technique. Les uns pour réclamer la nullité du pouvoir adressé par Cassandre Fristot au tribunal, les autres pour obtenir la nullité de la procédure. Mais la présidente ne donnera raison ni à l’un, ni à l’autre au terme d’une première interruption de séance où les avocats de la défense sont sommés de s’expliquer sur l’absence de leur cliente. «Elle est victime de menaces : elle n’allait pas venir s’exposer», commente tranquillement maître François Wagner avant que son voisin, l’avocat Paul Yon, accuse l’un des journalistes présents d’avoir essayé de «forcer» la porte de la jeune femme. «On n’a fait que toquer», rétorque l’intéressé.
«C’est dommage parce que j’aurais aimé lui poser des questions», souffle la présidente lors de l’instruction du dossier. Dommage aussi pour le public qui aurait aimé l’entendre. «Triste» voire «honteux» pour les très nombreuses parties civiles - treize au total - qui regretteront tout au long de leurs plaidoiries l’absence d’une jeune femme accusée de «lâcheté». «C’est une situation rarissime, s’indigne David-Olivier Kaminski, avocat pour le Crif. Elle est accusée de quelque chose et ne vient pas dire en quoi elle s’estime innocente ou en quoi elle a peut-être honte et ce qu’elle regrette.»
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Les différents avocats qui se succèdent ensuite à la barre racontent peu ou prou la même chose. Certains avec plus de verbe, d’autres avec moins d’allant, mais assurément avec la même idée : tout laisse entendre que Cassandre Fristot est antisémite. Certains décrivent une jeune femme «radicalisée», «catholique intégriste» si l’on en croit l’importante littérature religieuse retrouvée chez elle, «loyaliste» comme en témoigne un drapeau dans son salon, «proches de groupuscules d’extrême droite» comme le Parti de France. On apprend au passage que l’enseignante dispose du numéro personnel de son président, Thomas Joly, qui l’a soutenue ouvertement.
«Le risque c’est de donner la parole à certaines idées»
Et puis il y a l’analyse de la pancarte où l’on retrouve «tout le b.a.-ba de l’antisémitisme» selon l’avocate de la Ligue des Droits de l’Homme, Annie Levy-Cyferman. De l’idée, implicite, que les juifs contrôlent la finance et le pouvoir, à l’utilisation des cornes de diables qui réveillent de vieilles thèses antisémites, il ne fait de doute pour aucune des parties civiles que Cassandre Fristot doit être sévèrement punie. D’autant plus sévèrement souligne-t-on que la jeune femme est enseignante d’allemand, suspendue depuis le 16 août pour quatre mois. «C’est elle qui devait apprendre les valeurs de la République à nos enfants ?» s’interroge maître Michel Vorms du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme.
La réquisition du procureur de la République est délibérément brève. Il veut éviter de faire un procès «politique», rappelle que «Cassandre Fristot est aujourd’hui quelqu’un de plus célèbre qu’elle ne l’était avant d’être convoquée». «Le risque c’est de donner la parole à certaines idées, le risque c’est de ne faire voir que le bâton de la justice.» La jeune femme risquait un an de prison et 45 000 euros d’amende, mais le représentant de l’Etat ne réclame finalement que trois mois avec sursis et trois ans d’inéligibilité.
C’est l’avocat Paul Yon qui porte la parole de la défense, comme il l’avait déjà fait pour le négationniste Robert Faurisson en son temps. Mais sa stratégie est bancale. Appelant le tribunal à «savoir raison garder», il se lance dans une démonstration pour montrer que les personnalités citées sur la pancarte de Cassandre Fristot ne sont pas toutes juives. Dans le même temps il prend chaque nom de la liste, un par un, et tente de démontrer en quoi il est lié, de près ou de loin - mais souvent de très loin comme Soros ou Rothschild- à la politique sanitaire du gouvernement. Le délibéré sera rendu le 20 octobre à 14 heures.