Didier Migaud et Bruno Retailleau ont rassemblé ce vendredi 8 novembre, à la préfecture de Marseille, tout ce que la ville compte d’huiles dans leurs secteurs, la justice et l’intérieur. Côté politiques, le maire (DVG) Benoît Payan et tout un aréopage de parlementaires, à commencer par ceux de la commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic, dont son président socialiste Jérôme Durain, avaient aussi fait le déplacement pour suivre la présentation des nouvelles mesures gouvernementales contre le narcotrafic. C’est le tableau qu’espéraient les ministres pour le mot d’ordre du jour : «faire front commun» face à ce que Bruno Retailleau a qualifié ce vendredi de «menace existentielle contre nos institutions».
«Oui, nous avons atteint un point de bascule», a répété le ministre, rappelant les dernières fusillades sur fond de narcotrafic, à Marseille, mais aussi à Pacé (Ille-et-Vilaine) et à Poitiers. Sans reparler de «mexicanisation» du pays, c’est à «la pieuvre» que le patron de Beauvau a fait plusieurs fois référence, qui «étend ses tentacules». «Il a été dit par des magistrats, devant cette commission, que nous étions en train de perdre la guerre contre le narcotrafic, souligne son voisin de pupitre Didier Migaud. Si nous sommes ici, c’est pour prouver qu’il n’y a pas de fatalité et que la volonté politique est une arme puissante.»
Logique de spécialisation
Sans surprise, la plupart des mesures annoncées font écho aux préconisations des sénateurs. Le ministre de la Justice a ainsi appuyé la création d’un parquet national dédié à la lutte contre le crime organisé. En attendant la loi l’instaurant, Didier Migaud a indiqué la mise en place, «dans les prochaines semaines», d’une «cellule de coordination nationale» au sein du parquet de Paris, où les équipes travaillant sur la lutte contre la criminalité organisée seront «renforcées de 40 %». Autres reprises : l’élargissement du statut des repentis et le recours à des magistrats professionnels plutôt qu’aux jurys populaires, pour «éloigner le risque de pression».
Même logique de «spécialisation» pour le ministre de l’Intérieur : l’Office antistupéfiants (Ofast) est désigné comme pilote côté police, avec un «renforcement» des moyens de ses antennes régionales. Bruno Retailleau promet d’ailleurs de muscler encore la «filière investigation» prochainement, sans donner plus de précisions. Si ce n’est pour Marseille : 25 «enquêteurs supplémentaires» sont annoncés.
«Touches personnelles»
«Si on avait commencé notre travail en imaginant cette issue, on aurait signé tout de suite», salue Jérôme Durain, le président socialiste de la commission sénatoriale. «Satisfait», donc, à quelques nuances près. Quid, par exemple, de la place de Bercy dans ce dispositif ? Si les deux ministres ont insisté sur l’importance de «taper au portefeuille» les trafiquants, quelle part le ministère de l’Economie va-t-il prendre dans la lutte, notamment ses services fiscaux ?
Il y a aussi ces «touches personnelles» apportées par les ministres qui font tiquer le sénateur Durain. Comme la volonté, réaffirmée par Didier Migaud, d’assouplir l’excuse de minorité pour les plus de 16 ans ou la possibilité de les envoyer en comparution immédiate. Ou l’idée, avancée par Bruno Retailleau, de «couper les aides sociales» en cas de condamnation pour trafic de stup. «Il y a une dimension répressive à laquelle on adhère, mais on ne peut pas taper sur tout le monde, note le socialiste. Il faudra aller plus loin sur certains sujets comme les questions sanitaires ou de prévention, s’interroger sur les racines sociales de la consommation. Ce qui n’était pas du ressort de notre commission d’enquête…»
«Combat national»
L’absence de «dimension sociale» des mesures proposées inquiète aussi Karima Meziene, porte-parole du Collectif des familles de victimes du narcotrafic. Avec d’autres membres de l’association, elle a été longuement reçue par les ministres dans la matinée, qu’elle a trouvés «très attentifs, à l’écoute». Mais des ministres «à l’écoute», l’association en a vu d’autres défiler à Marseille, porteurs de solutions XXL. Le prédécesseur de Bruno Retailleau à Beauvau, Gérald Darmanin, avait déjà fait de la lutte contre les trafics la mère de toutes les batailles, et promis des moyens «sans précédents». «Il ne s’agit pas d’un énième plan», corrige Bruno Retailleau, qui espère que le texte de loi, «porté par la droite et la gauche» et qui sera présenté le 27 janvier, trouvera «une très large majorité» : «C’est tout l’appareil de l’Etat qui va faire de ce sujet une grande cause nationale. C’est un combat national qui prendra des années, dix, quinze ans.»
Mis à jour à 19h16 avec l’article de notre correspondante à Marseille.