Avec la polémique sur l’incarcération d’un policier à Marseille et le coup de pression du patron de la police sur l’institution judiciaire, l’exécutif marche sur des œufs. La Première ministre s’y est essayée. En déplacement au Havre, Elisabeth Borne a tenté ce mardi 25 juillet de temporiser et de nier toute divergence sur le sujet entre son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et son Président. «Tout le monde dit la même chose», a-t-elle assuré.
Le sujet est devenu hautement sensible avec l’interview publiée dimanche soir : Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale, a signifié son souhait de voir libérer l’agent de la BAC de Marseille, incarcéré dans le cadre d’une enquête sur des violences policières commises en marge des émeutes début juillet. «Je considère qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail», a-t-il notamment lâché. Les propos ont suscité l’indignation des magistrats ainsi que de la majorité des partis de gauche.
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Alors la cheffe de l’exécutif a tenté de ménager la chèvre et le chou. «A la fois soyons attentifs à la difficulté de la mission des policiers - et je pense qu’il est important de leur rendre hommage pour le travail, l’engagement exceptionnel qu’ils ont montré à l’occasion des violences urbaines - et par ailleurs il y a la justice qui doit pouvoir faire son travail, c’est ce qu’elle fait», a souligné Elisabeth Borne, aux côtés de son prédécesseur et maire du Havre, Edouard Philippe. La réponse d’Emmanuel Macron avait été tout aussi timorée la veille, lors de son interview télévisée dans les journaux de 13 heures. Depuis la Nouvelle-Calédonie, le chef de l’Etat s’était refusé à tout commentaire sur les propos du patron de la police, se contentant de reconnaître «l’émotion» des policiers et de rappeler que «nul en République n’est au-dessus de la loi.»
«C’est une blague, s’est offusqué le patron du PS Olivier Faure, sur Twitter, après la déclaration de Borne au Havre. «La justice doit pouvoir faire sereinement son travail». Comment, quand au bout de deux jours il n’y a toujours personne pour + commenter + et sanctionner une hiérarchie policière qui entend s’affranchir des principes républicains ?» Pour Jean-Luc Mélenchon, la cheffe du gouvernement «apporte son soutien à des factieux. La peur est mauvaise conseillère».
«On serait ennuyé si la police partait en rébellion»
La gêne est sensiblement la même au sein du gouvernement et dans les rangs de la majorité parlementaire. L’exécutif craint-il de recadrer l’institution policière ? «Ce n’est pas qu’on a peur, commente une ministre auprès de Libération. Mais on a besoin d’eux. On serait ennuyé si la police partait en rébellion.» Le ministre des Transports Clément Beaune a également plaidé pour ne pas «opposer dangereusement la police et la justice. Ce sont les deux visages de la même République», a-t-il déclaré sur Europe 1 ce mardi matin. Invité au même moment sur France Info, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a lui aussi donné dans le «en même temps» : «On peut comprendre et on peut partager l’émotion, l’exaspération, la fatigue, l’accablement d’une partie de la police. Ça mérite de la compréhension», a-t-il assuré, ajoutant que «nul n’est au-dessus des lois. C’est un principe qui s’applique à tout le monde».
En ce début de vacances parlementaires, peu nombreux sont les députés de la majorité à réagir aux propos du DGPN. Ancien conseiller de Darmanin à Beauvau, le député du Val-de-Marne Mathieu Lefèvre n’a pas pris de risque, lundi soir sur le plateau de BFM TV, en déclarant que «le Président est dans le camp des policiers et des gendarmes qui font un métier extraordinaire. [Ils] sont, par principe, du côté du droit. Par principe, ils doivent être défendus vis-à-vis des délinquants. Ce qui ne signifie pas que lorsqu’il y a des comportements totalement déviants, il ne faille pas les sanctionner».
Son collègue de Gironde, Florent Boudié, estime lui qu’il «ne peut y avoir d’un côté la loi des citoyens et de l’autre la loi des forces de l’ordre. Un Etat dans lequel chacun réclamerait pour lui-même sa propre application de la loi ne serait pas un Etat de droit». L’élu de Nouvelle-Aquitaine évoque par ailleurs «le désarroi et parfois la colère qui s’est accumulée parmi les forces de l’ordre face à la pression extrêmement forte du terrain et à l’intensification de leurs missions de maintien de l’ordre depuis la séquence des gilets jaunes».
Moins timide, la députée de Renaissance de Paris, Astrid Panosyan-Bouvet a rappelé de son côté que «l’ordre républicain est le seul chemin possible. Celui où l’uniforme de la police nationale donne des moyens mais implique aussi le contrôle démocratique et le respect des décisions de justice». «Surpris» par les propos du patron de la police, le député Modem du Finistère, Erwan Balanant, note que «la loi est la même pour tous». «C’est un message [que le DGPN] n’aurait pas dû dire comme ça. Qu’il soutienne ses troupes, c’est normal. Mais il doit aussi s’exprimer sur les sanctions. Ses propos sont maladroits», juge l’élu Modem, notant toutefois une «émotion chez les forces de l’ordre».