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Libération
Ubu loi

Pourquoi Monaco se retrouve traîné devant la Cour européenne des droits de l’homme

L’ancien gestionnaire de biens du prince Albert, viré après onze ans de bons et loyaux services, dénonce un «licenciement abusif». Et saisit la justice européenne pour contester l’absence de séparation des pouvoirs sur le Rocher.
Le prince Albert II de Monaco lors de la fête nationale monégasque, le 19 novembre. (Valery Hache/AFP)
publié le 16 janvier 2024 à 9h19

Claude Palmero ne l’a toujours pas digéré. En juin 2023, Albert de Monaco le congédie brutalement, après onze ans passés à son service à gérer l’importante fortune de la famille princière. Dans la foulée, il saisit le Tribunal suprême, la plus haute juridiction monégasque, pour contester ce fait du prince. Son président, Didier Linotte, nomme un rapporteur pour examiner ce dossier très sensible : Didier Ribes, un ancien magistrat du Conseil d’Etat. C’est ainsi que de nombreux juristes français arrondissent grassement leur fin de carrière dans la principauté.

«Le Prince choisit son juge !»

S’ensuit un autre fait du prince Albert : il met fin illico au mandat du président Linotte, nomme un successeur dans la foulée, Stéphane Braconnier, président de l’Université Paris-Panthéon-Assas, qui désigne illico un nouveau rapporteur, Philippe Blachèr, prof de droit à Lyon-III. Les conseils français de Claude Palmero, Pierre-Olivier Sur et Jérémy Gutkès, s’en étranglent d’indignation : «Situation ubuesque où le Prince, défendeur au procès, choisit son juge !» Les nouveaux venus, peut-être soucieux de donner des gages à leur nouveau et généreux employeur, rejetteront en décembre 2023 le recours du grand argentier déchu. L’avocat de la principauté, le Français Jean-Michel Darrois, tempère sur France 3 régions : «Ce n’est pas une question de nomination, mais de conscience. En France, les juges du Conseil d’Etat sont eux aussi de hauts fonctionnaires, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas indépendants.»

Pouvoir absolu d’Albert

Dans leur requête devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), les avocats de Claude Palmero pointent une violation de la séparation des pouvoirs et du principe d’indépendance de la justice. Rien de nouveau : la Constitution de Monaco confère depuis toujours au prince un pouvoir absolu en matière de nomination des magistrats au Tribunal. La nouveauté, c’est que le prince souverain soit personnellement attrait devant sa propre justice. Et qu’il ait redistribué les cartes en pleine procédure.

Monaco, membre du Conseil de l’Europe, est à ce titre signataire de la Convention européenne des droits de l’homme, qui stipule en son Article 6-1 : «Toute personne a droit que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial.» La cour de Strasbourg à l’habitude d’en juger, distinguant savamment indépendance subjective et objective. Mais cette fois dans un très concret cas monégasque. Les avocats de Claude Palmero se disent confiants : «La question n’est pas de savoir quand la CEDH rendra sa décision, mais quand Monaco va instituer la séparation des pouvoirs.» L’avenir le dira.