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Justice

«Préparez votre départ pour l’Afrique» : destinataire d’une lettre raciste, une commerçante de Perpignan va porter plainte

Menacée d’un «nettoyage impitoyable et virulent» si elle ne vend pas son domicile, une commerçante perpignanaise, aux origines congolaises, va porter plainte ce jeudi 4 juillet. Le parquet a ouvert une enquête.
Le courrier anonyme reçu par Brigitte Vumbi Borne, le 3 juilllet à Perpignan. (Capture d'écran)
par Pénélope Gualchierotti
publié le 4 juillet 2024 à 14h20

Elle n’est plus «la bienvenue en France» à cause de sa peau noire. Une habitante de Perpignan va porter plainte ce jeudi 4 juillet après avoir reçu un courrier l’appelant à quitter le territoire français et à «préparer [son] départ pour l’Afrique». Contactée par Libération, cette Française d’origine congolaise, Brigitte Vumbi Borne, précise qu’elle va se rendre en commissariat dans la journée. «Je vais y aller. J’espère qu’ils sont ouverts entre midi et deux. Je vais prendre ma voiture et aller voir. Aujourd’hui, il faut que je le fasse», s’encourage-t-elle.

Une information qui est remontée jusqu’au procureur de la République de Perpignan, Jean-David Cavaillé, qui confirme à Libé «ouvrir une enquête aujourd’hui. […] Je n’ai pas encore reçu la plainte de Madame mais le préfet et le maire me l’ont signalé. Je suis en train d’analyser les qualifications que je retiens.»

Le 3 juillet, quelques jours après le premier tour des élections législatives qui a vu le Rassemblement national arriver en tête dans l’ensemble du département des Pyrénées-Orientales, cette commerçante a reçu un courrier, qu’elle a immédiatement partagé sur Facebook. Cette lettre intime la résidente perpignanaise depuis bientôt dix ans à «procéder à une vente rapide» de son domicile à des «bons Français de souche». Au risque, sinon, de faire les frais d’un «nettoyage impitoyable et virulent du quartier» qui aurait pour but «de restaurer l’atmosphère catalane d’antan».

Le texte est signé du nom de la «Division Marcel Bucard de Perpignan, Mouvement populaire français». Pour Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l’extrême droite, le Mouvement populaire français n’a pas existé. L’auteur de la lettre ferait plutôt référence au Parti populaire français, «principal mouvement collaborationniste fasciste», créé en 1936, «puis dérivant vers le nazisme au fur et à mesure». Son fondateur Jacques Doriot «hurle, lors du Congrès du parti en 1943, qu’il veut un parti totalitaire et parle d’hygiène de la race». «Ses membres vont endosser l’uniforme allemand pour bon nombre d’entre eux allant au bout de la trahison, de la dérive raciale et de l’antisémitisme», raconte l’historien. «Le parti est interdit en 1944 par les ordonnances éliminant les principaux mouvements collaborationnistes.»

Quant à Marcel Bucard, dont le nom est cité dans la signature, il est le «fondateur du mouvement franciste, parti fasciste, et considérait que l’union des fascismes permettrait la paix universelle». Cet antisémite notoire collabora avec l’Allemagne nazie et fut condamné à mort et exécuté à la Libération. Nicolas Lebourg estime que «ces référentiels fascistes sont généralement évités, même dans les groupuscules [d’ultra droite actuels]. Bucard et Doriot sont des noms qui sont très loin dans l’Histoire». Des erreurs se sont également nichées dans la date des élections législatives et celle d’écriture de la lettre - «le 1er Juillet 2034». Simple faute d’inattention ou référence aux années 1930 ?

«Qui se permet de faire ça ?»

Le 3 juillet, la candidate Nouveau Front Populaire aux législatives, Nathalie Cullell, avait dénoncé le contenu de cette «épouvantable lettre raciste, qui doit tous nous alerter. Son crime ? Sa couleur de peau. Voilà où mène la haine».

«Je ne vais pas me laisser faire», avait réagi sur Facebook la sexagénaire, porteuse de la flamme olympique mi-mai lors de son passage dans les Pyrénées-Orientales. Auprès de Libération, Brigitte Vumbi Borne raconte : «Sur le moment, j’ai ressenti de l’incrédulité et un petit coup de colère. Qui se permet de faire ça ? […] Je suis allée sur Internet pour vérifier le logo, ce qu’est le Mouvement populaire français et la division Marcel Bucard. J’ai vu que c’était à connotation fasciste, collaborationniste. C’est gros, c’est énorme, c’est horrible !», s’exclame-t-elle.

«Puis cela a enclenché autre chose, un tel élan de personnes indignées, qui me soutiennent. J’ai reçu des appels et des messages de partout, des Antilles, d’Afrique, disant “on est avec toi”. Cela rassemble», se réjouit la mère de trois enfants. «Cela fait prendre conscience aux gens qu’il se passe des choses très graves, que cela peut aller très loin.»

D’après les informations de France Bleu Roussillon, Brigitte Vumbi Borne a également réclamé une audience au maire de Perpignan, Louis Aliot. Ce dernier, sous l’étiquette du Rassemblement national, a dénoncé ce mercredi «un courrier absolument abject». «J’assure cette dame de tout mon soutien et de toute mon affection et j’espère que les commanditaires seront rapidement trouvés et sévèrement punis», assure-t-il dans son communiqué.