Une deuxième enquête préliminaire qui comporte les nouveaux témoignages d’une trentaine de femmes accusant Patrick Poivre d’Arvor de viols, d’agressions sexuelles et de harcèlement vient de se conclure par une succession de classements sans suite et trois renvois devant les juges d’instruction. Rappelons que le présentateur vedette de TF1 a été mis en examen en décembre pour le viol de Florence Porcel. Hélène Devynck, ancienne journaliste qui a consacré un essai, Impunité, aux éditions du Seuil, à la construction de l’impunité du journaliste, nous livre à chaud sa réaction.
Interview
Comment réagissez-vous à cette décision de justice ?
Je me réjouis des nouvelles ouvertures d’instructions. Florence Porcel n’est plus seule à porter l’espoir et les difficultés d’un procès. Pour les autres, il faut rappeler que 73 % des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite. Il y a une banalité dans ces décisions à laquelle il est difficile de se résoudre. Et ça reste douloureux à encaisser. Car même si on suppose que les faits sont anciens, on espère toujours que la justice considère et entende nos témoignages. On ne veut pas qu’ils soient jetés à la poubelle. On a l’impression d’avoir pris des risques, d’avoir témoigné et d’avoir parlé dans le vide. Car la prescription, ce n’est pas un mur. Dans l’affaire du violeur de la Sambre, Dino Scala, elle a pu être levée pour des viols qui datent des années 80.
Comptez vous utiliser cette jurisprudence ?
Nous allons essayer ! On va se regrouper, faire appel à des avocats, explorer toutes les voies qui nous restent pour arriver à un procès. Ce que la justice demande aux victimes est démesuré. Dans les médias comme dans le milieu du cinéma, nos témoignages sont traités comme s’ils étaient embarrassants. On est 17 à être attaquées pour dénonciation calomnieuse, les conséquences sur nos vies personnelles et professionnelles ont été considérables. En vérité, tout montre qu’aujourd’hui, les personnes victimes d’agressions sexuelles ou viols ont encore intérêt à se taire. Pour l’instant, la justice nous dit surtout son impuissance à renverser le pouvoir.
Cette deuxième enquête préliminaire a pourtant été longue…
Ça fait trois ans qu’on se bat. Trois ans de montagnes russes. Nous nous sommes adressées à l’opinion, notamment grâce aux enquêtes de Libération, quand la justice nous a fermé la porte au nez une première fois. On est une cinquantaine à avoir raconté à la police et à la justice ce que nous a coûté notre rencontre avec cet homme. Lorsque moi-même j’avais appelé le premier enquêteur, il m’avait dit que nos témoignages étaient «des preuves vivantes». Tant qu’on n’a pas de procès, tous ceux qui ont autorisé le comportement destructeur de Patrick Poivre d’Arvor peuvent dormir paisiblement. Il n’y a aucune remise en question du milieu. Ce sont les mêmes mécanismes faits d’embarras, de confusion et de lâcheté repérables aujourd’hui dans le cinéma.