La prise d’otage de la rue d’Aligre, dans le XIIe arrondissement de Paris, a pris fin ce mardi matin, au bout de dix-sept heures de tension. Le forcené, connu dans ce quartier commerçant pour des antécédents psychiatriques, a été interpellé. Il avait auparavant demandé à parler au ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti. Pour Libération, Christophe Caupenne, ancien négociateur du Raid, l’unité d’élite de la police nationale, décrypte la manière dont les professionnels des forces d’intervention utilisent l’échange et la parole pour mettre fin pacifiquement à des prises d’otages, notamment quand elles sont perpétrées par des personnes souffrant de pathologies mentales.
Dix-sept heures, est-ce que c’est long pour une prise d’otage de ce type ?
Lorsqu’il y a une psychopathologie qui sous-tend le passage à l’acte, comme cela semble être le cas ici, c’est souvent très long. L’auteur des faits peut se trouver dans une impasse psychologique, et imaginer qu’il va en ressortir en réglant le problème avec les plus hautes autorités. Cela peut aussi être long parce qu’il y a ce qu’on appelle des «productions», c’est-à-dire des éléments délirants qui perturbent totalement le raisonnement. Tant que la personne est dans un état de confusion, et tant que les négociateurs n’ont pas réussi à stabiliser la situation, il n’y a pas d’ouverture pour entrevoir une résolution pacifique. Donc il faut du temps. Là, je pense que les collègues de la BRI [Brigade de recherche et d’intervention, rattachée à la préfecture de police de Paris, ndlr] ont été patients, et les autorités leur ont fait confiance pour qu’ils puissent accomplir leur travail jusqu’au bout.
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Faut-il accéder aux demandes de personnes se trouvant dans de telles impasses ou souffrant de ces «productions» ?
Non, jamais, surtout pas. On ne rentre pas dans le délire de l’individu, on ne l’alimente pas. Ce serait un très mauvais message envoyé à tous les gens souffrant de psychopathologies qui veulent médiatiser leurs problèmes ou les résoudre par la force. L’illusion qu’ils pourraient avoir accès aux plus hautes autorités est extrêmement dangereuse. Si on le fait une fois, ça crée une jurisprudence. Face à une telle demande, c’est normalement un refus catégorique de la part des négociateurs professionnels, ils ne sollicitent pas le concours d’une autorité. Qui plus est, si le preneur d’otage venait à avoir les autorités qu’il demande, ça ne résoudra pas le problème, puisqu’il aurait ensuite certainement une demande supérieure. On va s’arrêter où : au président de la République ? Au pape ?
L’entourage du ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a eu tort de faire savoir «qu’il se tenait à [la] disposition» des négociateurs ?
Je ne dirais pas ça. Car je vois mal le ministre prendre une position personnelle là-dessus. Il a dû demander l’avis au patron de la BRI, qui a lui-même consulté les négociateurs. Et puis un effet d’annonce c’est une chose, la réalité d’un engagement, c’en est une autre. Cela dit, le mensonge est une erreur majeure en matière de négociation, car cela peut détruire la confiance qu’on essaye d’instaurer avec le preneur d’otage. On ne ment pas à quelqu’un qui souffre d’une psychopathologie. Sans quoi, on risquerait de s’inscrire dans une situation de défiance totale, à l’égard de tous les interlocuteurs futurs.
Alors que faut-il faire pour négocier avec ces profils ?
Savoir écouter, et laisser la personne verbaliser le malaise qui l’a conduite au passage à l’acte. La maladie mentale, c’est une souffrance. La personne qui est souffrante, elle est persuadée qu’elle est légitime à faire ce qu’elle fait, elle n’est plus maîtresse de sa psyché et de ses actes. C’est bien pour ça qu’on peut invoquer l’irresponsabilité pénale dans ce genre de situation. Il faut, par le biais de la conversation, de l’échange, ou en lui posant des questions, la faire réfléchir à sa situation, l’amener à se persuader elle-même que la violence est une mauvaise solution. Il faut tout faire pour que la reddition soit à son initiative, et cela va prendre du temps. Parce que se résigner prend du temps.
Existe-t-il des profils types de preneurs d’otage ou une typologie de ces personnes ?
Au sein même des profils pathologiques, tout dépend de la maladie dont ils souffrent, ou ce qu’ils recherchent. Après, pour certains c’est une problématique de l’avoir : ils veulent obtenir quelque chose, qu’on leur rende leur gosse, que la décision administrative ou judiciaire les visant soit annulée. D’autres sont dans une problématique de l’être. Ils veulent montrer leur colère, montrer qu’il ne se laisse pas faire par la société, pour changer l’opinion qu’elle a d’eux, en montrant qu’ils sont dangereux. Certains preneurs d’otage sont vengeurs, d’autres vont être dans le terrorisme : ils veulent avoir une fenêtre médiatique pour stimuler de nouvelles personnes. Il y a plein de profils. Toutefois, un négociateur qui serait trop figé sur les typologies et les modes opératoires aurait de grande chance de rater sa négo. Car il faut garder en tête que la négociation n’est pas un domaine où les choses sont figées. Il y a des grands principes mais il faut, en plus de l’écoute, une grande capacité d’adaptation à la situation.