«Trente-huit associations ce n’est pas rien. Surtout quand elles disent toutes la même chose.» Lucia Argibay, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM), est la dernière des six personnes attablées à prendre le micro face à la presse. Ce mardi 24 juin dans les locaux parisiens de la Cimade, toutes ont parlé d’une même voix. Le ton était offensif et inquiet, et ce dès le titre de l’invitation envoyée aux médias : «“Punir, exclure et faire souffrir” : la dérive assumée d’une politique pénale et pénitentiaire inhumaine et insensée.»
«Si on continue au rythme d’emprisonnement du début d’année, on atteindra 90 000 détenus d’ici à la fin 2025», introduit Prune Missoffe, de l’Observatoire international des prisons (OIP), qui dénonce la «frénésie d’annonces, de textes de lois et de circulaires […] qui radicalisent le paysage pénitentiaire». L’association, qui accompagne les personnes détenues, évoque deux exemples symptomatiques du glissement répressif en cours. D’une part, la suppression pour les détenus du vote par correspondance aux élections locales (depuis sa mise en place en 2019, le taux de participation dans les prisons est passé de 1 % à 20 %) : une «atteinte criante à l’universalité du droit de vote», selon Prune Missoffe, qui éloigne un peu plus les détenus de la vie publique. D’autre part, l’OIP déplore le «rétablissement des quartiers de haute sécurité», sur volonté de Gérald Darmanin – un mode de détention centré sur l’isolement, unanimement dénoncé par toutes les personnes qui se sont penchées dessus. C’est ce que Hugo Partouche, du Syndicat des avocats de France, qualifie de «populisme pénal, c’est-à-dire un écart croissant entre ce que la criminologie sait et ce que font les dirigeants».
«Raz de marée démagogique»
La sévérité des peines ne décourage pas les personnes susceptibles de commettre des infractions ; construire plus de places de prisons ne résout pas la surpopulation carcérale mais provoque une augmentation du nombre de détenus… Les associations et syndicats ont beau le seriner, rien n’endigue le «raz de marée démagogique» décrit par la secrétaire nationale de la Cimade, Fanélie Carrey-Conte. A la tribune, elle rappelle que si environ un quart des détenus sont des personnes étrangères, «ce n’est pas parce que immigration = délinquance». «C’est parce que les personnes étrangères sont les plus exposées à la répression. On pourrait parler les concernant d’un parcours pénal parallèle, insiste l’ancienne députée socialiste. Elles sont proportionnellement plus soumises au contrôle, victimes de surinterpellation, elles ont plus de chance de passer en comparution immédiate, et donc d’être condamnées plus sévèrement.»
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De cette «stigmatisation des personnes étrangères», la secrétaire nationale de la CGT insertion probation (IP) estime qu’elle est le signe que «le garde des Sceaux a gardé ses vieilles marottes, celles qu’il avait au ministère de l’Intérieur». Margaux Le Gallo en veut pour preuve «deux folies» récentes de la politique carcérale : la signature par la direction interrégionale des services pénitentiaires du Grand Est d’un protocole avec la préfecture de l’Aube pour que «les agents des Services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) qui mettent un bracelet électronique doivent prendre les empreintes de la personne si elle est étrangère» – «c’est choquant et complètement illégal», dénonce la cégétiste. Et d’autre part, la demande faite aux Spip de «donner systématiquement des avis défavorables concernant les aménagements de peine de personnes étrangères» – «c’est choquant et complètement illégal», répète Margaux Le Gallo.
Envisager différemment la détention
Au moment même où se tenait cette conférence de presse s’ouvraient les Etats généraux de l’insertion et de la probation. La CGT IP prévoit d’y participer à reculons quand le second syndicat de cette branche du ministère de la Justice, le Snepap-FSU, a décidé de les boycotter. Plus largement, cette initiative ne convainc aucun des acteurs présents ce mardi tant l’air du temps et la partition droitière du ministre de la Justice sont à la répression et au durcissement des politiques pénales.
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De concert, les intervenants appellent – et répètent leurs appels – à envisager différemment la détention, la prison, la peine. Pêle-mêle, il est proposé de mettre en place un mécanisme de régulation carcérale – un dispositif plébiscité par de nombreuses instances nationales et internationales mais là encore refusé par l’actuel ministre de la Justice –, voire d’œuvrer à la déflation carcérale ; augmenter les moyens des Spip où de nombreux postes font défaut ; développer une probation non plus adossée à la prison mais envisagée comme un régime de peine autonome… Conscients que la bataille des idées est loin d’être gagnée, plusieurs participants appellent à faire vivre ce front commun et inédit.