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Récit

Colonna, Ferrandi, Alessandri: trois noms au cœur des tensions sur les prisonniers corses

La question des détenus, et en particulier le sort des hommes condamnés pour l’assassinat du préfet Erignac, reste centrale dans les négociations entre l’île et l’Etat. Ferrandi et Alessandri pourraient être transférés dans une prison corse «d’ici à l’été».
Arrivée de Gérald Darmanin et Gilles Simeoni à la Collectivité de Corse mercredi. (Raphael Poletti/Libération)
publié le 17 mars 2022 à 6h12
(mis à jour le 17 mars 2022 à 12h16)

Revendication historique du mouvement nationaliste, la question des prisonniers dits «politiques» a toujours été un enjeu majeur des discussions entre la Corse et Paris. En 2022 plus que jamais, elle reste sur le devant de la scène. Preuve que la cause mobilise toujours la jeunesse insulaire, le slogan Libertà per i Patriotti («liberté pour les patriotes») est affiché depuis dix jours sur les banderoles placées en tête de cortège des manifestations. Et la libération d’Alain Ferrandi et de Pierre Alessandri, condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat du préfet Erignac perpétré le 6 février 1998 à Ajaccio, fait partie des trois demandes «prioritaires» adressées aujourd’hui au ministre de l’Intérieur, par le collectif composé de 21 organisations et représentatif des «forces nationalistes» de l’île. A défaut de cette éventuelle libération, les deux hommes pourraient être transférés dans une prison corse « d’ici à l’été » selon des proches de Gérald Darmanin,

Le 8 mars, le Premier ministre, Jean Castex avait levé «pour des raisons humaines» le statut de «détenu particulièrement signalé» (DPS) de Colonna. Trois jours plus tard, il avait pris «dans un esprit d’apaisement» la même mesure pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri.

«La question des prisonniers est historique et très sensible, confirme Jean-Félix Acquaviva, député nationaliste de Haute-Corse. Cela a toujours fait partie et cela doit encore faire partie des discussions autour d’une solution politique globale pour la Corse. Prendre en compte le sort des prisonniers, c’est reconnaître l’histoire qui est la nôtre et ouvrir une nouvelle page.»

«Les magistrats n’avaient pas leur mot à dire»

De fait, en 1981 et en 1988, les processus de «réconciliation» ouverts entre l’île et l’Etat ont abouti au vote de deux lois d’amnistie. «La France n’a jamais reconnu le statut de prisonniers politiques aux militants corses mais, paradoxalement, elle a toujours eu une gestion politique de leurs dossiers, analyse Me Eric Barbolosi, avocat de Pierre Alessandri et habitué des procédures antiterroristes insulaires. Les responsables politiques ont toujours eu la main sur ces affaires. J’ai connu une époque où, en trois coups de fil, on mettait tout le monde dehors sous contrôle judiciaire en pleine instruction. Et les magistrats n’avaient pas leur mot à dire, même si cela n’a jamais été reconnu officiellement.»

Aujourd’hui, les choses ont changé : le Front de libération nationale corse (FLNC) a déposé les armes en 2014 (en dépit d’actions ponctuelles et de divers communiqués) et les prisonniers dits politiques sont moins nombreux qu’autrefois. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, la plupart d’entre eux ont été rapprochés, les autres ont été libérés en fin de peine ou ont obtenu une mesure de libération conditionnelle.

Tensions de la rue

La question des prisonniers se limite désormais à trois noms : Alain Ferrandi, Pierre Alessandri et Yvan Colonna, les derniers membres du «commando Erignac» toujours incarcérés sur le continent (à la maison centrale de Poissy). «L’assassinat du préfet Erignac est le dossier le plus traumatique pour l’Etat français. Pour la Corse aussi, d’ailleurs, relève Jean-Félix Acquaviva. La preuve : vingt-cinq ans après, l’actualité est toujours liée à l’affaire.»

Si Gérald Darmanin, catapulté «M. Corse» à la faveur de la crise actuelle, jure que la levée du statut de détenu particulièrement signalé (DPS) des trois prisonniers n’est pas une concession de dernière minute accordée pour apaiser les tensions de la rue, élus nationalistes et observateurs insulaires restent dubitatifs. «Ce n’est pas un secret, il y a des gens et des officines qui travaillent en sous-main depuis des années à empêcher leur rapprochement, s’agace Me Eric Barbolosi. Depuis des années, et notamment depuis 2017 [qui marque la fin de la période de sûreté de Pierre Alessandri et Alain Ferrandi, ndlr], la loi et le droit ne sont pas respectés.»

Reste que le chemin du rapprochement n’est pas encore arrivé à son terme pour les trois prisonniers. Yvan Colonna est toujours hospitalisé à Marseille dans un état critique, et ses avocats réclament une suspension de sa peine. Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, quant à eux, sont désormais accessibles à un transfert vers la prison de Borgo, mais aucune date n’a encore été officiellement fixée.

Mise à jour le 17 mars à 12 h 15 avec l’éventuel transfert d’Alessandri et Ferrandi dans une prison corse «d’ici à l’été»