Ce mercredi 15 mai, la Contrôleure général des lieux de privation de Liberté (CGLPL) a publié son rapport d’activité 2023 qui sera remis, comme chaque année, au président de la République, au gouvernement et au parlement. Nourris des 110 visites d’établissements, de 9 vérifications sur place et des 2 811 lettres qui lui ont été adressé, l’autorité administrative indépendante dresse cette année encore un constat désolant sur l’état des lieux de privation de liberté et sur la prise en charge de ses occupants.
Une surpopulation carcérale record
«Avec 77 450 détenus pour 61 570 places au 1er avril et un taux d’occupation moyen des maisons d’arrêt à 150,4 % (avec des pics à 250 %), la France atteint chaque mois de nouveaux records d’incarcérations», déplore le rapport. La CGLPL préconise, à nouveau, «la mise en place, dans la loi, d’une régulation carcérale». «Pas plus de prisonniers que de places. Est-ce anormal ? Pourquoi l’Allemagne a-t-elle réussi là où la France rate tout ?», s’interroge la Contrôleure générale, Dominique Simonnot, qui a constaté l’état effroyable des cellules.
A lire aussi
«Les cellules individuelles n’atteignent jamais 9m2 et sont le plus souvent doublées, voire triplées. L’espace disponible par personne, une fois déduite la surface des sanitaires et du mobilier, est le plus souvent très inférieure à 3m2», décrit le rapport. «Dans plusieurs établissements, l’état des abords est épouvantable, ce qui attire rats, pigeons, mouettes et chats qui, parfois, s’introduisent jusque dans les cellules […] Les détenus dormant sur un matelas par terre se trouvent contraints de boucher leur nez et leurs oreilles avec du papier toilette afin d’éviter que des cafards s’y introduisent». La CGLPL rappelle également qu’au 1er avril, 3 307 détenus étaient contraints de dormir sur un matelas posé à même le sol de leur cellule, selon les données officielles du ministère de la justice.
Une chaîne défaillante dès l’enfance
«C’est toute une chaîne qui déraille depuis trop longtemps», se désole Dominique Simonnot dans l’avant-propos de son rapport annuel. Dès l’Aide Sociale à l’enfance, elle est fragilisée par un manque criant de «moyens et de formations». Puis elle continue «de faillir» dans les prisons pour mineurs, synonyme de dérochage scolaire pour la Contrôleure générale. «Fort de voir l’Éducation érigée en cause et priorité nationale», l’ex-journaliste de Libé ne cesse «d’alerter les ministres concernés sur l’absolue nécessité de créer un statut spécial des professeurs pour ces élèves.» Sans succès.
Dans son rapport de 182 pages, qui sera disponible en librairie jeudi, la CGLPL déplore également la situation dramatique dans les hôpitaux psychiatriques où le manque de médecins et de personnel soignant a atteint «un stade d’extrême gravité».
Des agents pénitentiaires épuisés
Le rapport paraît alors qu’une journée «prisons mortes» se tient devant différents centres pénitentiaires ce mercredi 15 mai, à l’appel des organisations syndicales de l’administration pénitentiaire, après la suite de l’attaque meurtrière d’un fourgon pénitentiaire de mardi, que Dominique Simonnot qualifie de «terrible drame». Le document souligne que les conditions de travail des personnels sont dégradées.
Dans les lieux de privation de liberté, «l’administration pénitentiaire fonctionne avec des effectifs de plus en plus tendus, détaille le rapport, ce qui contribue à dégrader encore la vie des détenus et le travail du personnel.» Les effectifs de cette administration sont «cruellement insuffisants» normalisant dans «plusieurs établissements» un «fonctionnement très détérioré». Les professionnels sont épuisés, marqués par leur impuissance professionnelle, il en découle une baisse de qualité de leurs pratiques et des atteintes aux droits fondamentaux des détenus Simonnot, conclut le rapport à ce sujet.
Dans ces conditions, les faits de violence augmentent dans certains établissements. Le rapport relate ainsi le cas d’un détenu incarcéré pour la première fois, en exécution de diverses courtes peines, qui «a subi des faits de viol et des actes de torture pendant toute une nuit au mois de janvier 2023».
Le recours à la justice pour améliorer les conditions de détention
Dominique Simonnot note qu’il est «difficile de constater» que l’«indifférence» vis-à-vis de ceux que «la société n’aime pas vient encourager l’inertie de l’État». Si les rapports du CGLPL permettent de changer, à la marge, l’état des lieux de privation de liberté, la Contrôleuse générale ne s’en satisfait pas : «c’est trop lent et trop peu».
Comme le souligne le rapport d’activité, «à l’exception des rapports annuels et thématiques, toutes les recommandations du CGLPL font l’objet d’une première procédure contradictoire avec les ministres.» Et l’exercice de suivi des recommandations a montré que les réponses des pouvoirs publics sont «souvent parcellaires». Quels moyens d’action reste-t-il pour les faire appliquer ? La justice. «Ce que l’État refuse de concéder devra donc se plaider devant des juges, écrit Dominique Simonnot. Un peu agaçant, mais plutôt démocratique.» Cette dernière note qu’un procès contre «les conditions indignes de détention appuyé sur les rapports du CGLPL» porte bien plus vite ses fruits que de recommander des actions aux ministres.