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A la barre

Procès Benalla : «On aurait laissé un agresseur de policier en fuite ?»

Affaire Benalladossier
C’est le cinquième jour du procès de l’ancien chargé de mission à l’Elysée. Le tribunal correctionnel de Paris s’est penché sur les violences commises lors du 1er mai au Jardin des plantes.
Vincent Crase (2ème plan), ancien responsable-adjoint sûreté et sécurité de LREM au tribunal de grande instance de Paris. où il est jugé avec Alexandre Benalla, l'ancien collaborateur de l'Elysée pour "violence en réunion" et "port d'arme", le 13 septembre. (Denis Allard/Libération)
publié le 22 septembre 2021 à 21h39

Au Jardin des plantes (Ve arrondissement de Paris), en ce jour de fête du travail de 2018, au beau milieu des pivoines, cerisiers japonais et autres rhododendrons, deux spécimens rares déambulent dans la pagaille. L’un, capuche grise sur la tête, l’autre matraque télescopique en main, parmi les patrouilles de police. On les retrouve ce mercredi 22 septembre, bien serrés sur le banc des prévenus. Le tribunal s’intéresse ce mercredi aux violences commises par Alexandre Benalla et Vincent Crase le 1er mai 2018 en début d’après-midi, au milieu des allées du jardin parisien. Le premier acte de cette fête du travail inédite qui a précipité la chute de l’ancien collaborateur d’Emmanuel Macron.

La semaine dernière, avant d’attaquer ce volet et celui relatif à l’utilisation frauduleuse de ses passeports diplomatiques, il avait surtout été question d’armes et de calibres. La présidente du tribunal Isabelle Prevost-Desprez avait cherché à comprendre comment l’ancien chargé de mission de l’Elysée s’était retrouvé à en manier autant. Désormais, on entre dans le vif du sujet de l’affaire. Toute la semaine, les débats seront menés par un juge assesseur. L’audience est rythmée par les visionnages des nombreuses vidéos et photographies prises ce jour de manifestation, journée particulièrement violente ayant abouti à 80 gardes à vue à Paris.

Retour sur les faits. Ce 1er mai, Alexandre Benalla est accompagné de Vincent Crase, salarié de La République en marche et gendarme réserviste, ainsi que du major Philippe Mizerski, que les deux premiers sèmeront à plusieurs reprises. Pendant de longues minutes, on suit les pérégrinations de ce trio. Philippe Mizerski avec son bonnet et l’air paumé, Alexandre Benalla tantôt capuché, radio à la main et parfois équipé d’un brassard de police, puis Vincent Crase, lunettes de soleil sur le nez et crâne à l’air.

«Cow-boys»

Dans les travées du jardin créé en 1 653 sur décision de Louis XIII, les deux «observateurs» du jour sont aux premières loges. A l’ancien collaborateur du président de la République, le juge assesseur demande si la présence de Vincent Crase à ses côtés ce jour-là, sans même que le commandement soit au courant de sa venue, ne «relevait pas du fait du prince». «Avec un peu de recul, c’était peut-être inapproprié, mais ce n’est pas le fait du prince. Lorsque nous sommes arrivés plus tôt dans la salle [de la préfecture de police, ndlr], cela n’a pas posé de problème majeur», répond calmement Alexandre Benalla, cintré dans sa veste bleu marine croisée, lunettes sur le nez.

Au-delà de la présence inattendue de Vincent Crase dans la salle de commandement de la préfecture de police puis à la manifestation, c’est bien les violences commises par les deux hommes qui intéressent le tribunal aujourd’hui. Le 26 juillet 2018, Libération révélait une vidéo montrant comment Alexandre Benalla et Vincent Crase se sont comportés comme des policiers, bien avant la scène désormais célèbre de la place de la Contrescarpe. On les voit participer à l’interpellation musclée de Khelifa M, interpellé à 17 heures ce 1er mai 2018 pour avoir jeté une pierre en direction des forces de l’ordre. C’est lui qu’on retrouve aujourd’hui face aux deux «cow-boys», comme il les décrivait lors de sa plainte déposée le 6 août 2018.

«Ça me coûte cher»

Les cheveux longs et la barbe qui dépasse de son masque chirurgical, le jeune homme maintient ses propos à la barre. Il se souvient de sa fuite. De la giclée de gaz lacrymogène reçue dans le visage. Du bruit d’une matraque télescopique qu’on déplie. «J’étais dans une optique de survie. Je recevais des coups», déclare-t-il, tout en précisant ne pas pouvoir affirmer avoir vu Vincent Crase le frapper avec cette matraque.

«On a attribué cette affaire à un tabassage de la part du collaborateur du Président. Ou bien à une usurpation du rôle de la police, se défend Alexandre Benalla. Je suis malheureux de voir des gens agressés dans le métro, des policiers agressés par des gens qui n’ont plus peur d’eux.» Depuis le début, l’homme se réfugie derrière l’article 73 selon lequel tout citoyen peut appréhender l’auteur d’un crime ou d’un flagrant délit. A une avocate des parties civiles, Alexandre Benalla répond être intervenu car Khelifa M. «allait fuir». «Personne ne savait ce qu’il venait de commettre. On aurait laissé un agresseur de policier en fuite. Il a été arrêté, jugé et condamné dans un tribunal. […] Je suis intervenu. Ça me coûte cher. Je ne regrette absolument pas ce que j’ai fait ce jour-là. J’en suis fier.» Ce jeudi, c’est le dossier des violences commises place de la Contrescarpe qui sera évoqué à l’audience.