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Libération
A la barre

Procès d’activistes pour une banderole sur une grue à Saclay : «Les terres bétonnées seront perdues à jamais»

Grand Paris, en chantierdossier
Deux militants d’Extinction Rebellion, jugés au tribunal judiciaire d’Evry après une action de désobéissance civile visant à alerter sur les conséquences de la ligne 18 et du Grand Paris Express sur le plateau de Saclay, riche en terres fertiles, ont été relaxés ce mercredi.
Un jeune homme tient un logo d'Extinction Rebellion. (Alain Pitton /NurPhoto. AFP)
publié le 13 janvier 2023 à 17h35

Presque deux ans qu’ils attendent, des nœuds plein le ventre. Après le report de leur procès acté au printemps, deux activistes d’Extinction Rebellion (XR), collectif habitué des actions de désobéissance civile, ont enfin été jugés au tribunal judiciaire d’Evry, vendredi 20 janvier, quinze mois après les faits.

Après une mise en délibéré de la décision, ils ont été relaxés ce mercredi, rapporte le «Collectif contre la ligne 18» sur Twitter. Le 15 octobre 2021, Léo et Api – il se présente en utilisant ce surnom –, 28 et 36 ans aujourd’hui, ont escaladé une grue à Palaiseau (Essonne) sur l’un des nombreux chantiers du plateau de Saclay et suspendu à son sommet une banderole bleu turquoise : «Stop ligne 18.» L’opération dure à peine deux heures, «sur la pause déjeuner des ouvriers», précisent les prévenus.

Aucune dégradation n’est constatée, aucun geste violent n’est à déplorer, ils sont descendus de leur plein gré. Et pourtant, Léo et Api ont comparu pour «opposition, par voies de fait ou violences, à l’exécution de travaux publics ou d’utilité publique», dans une petite salle aux murs blancs, à l’équipement rudimentaire, avec une juge unique, comme le prévoit la procédure pour les affaires les plus simples. Par leur geste, ils souhaitaient «alerter» sur «les conséquences néfastes» du projet «Grand Paris Express» et les «dommages causés par l’artificialisation des sols» de cette région qui compte parmi «les plus fertiles d’Europe». Ils encouraient un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

«Le tribunal ne fait pas de politique»

Vendredi, adossés au fond de la pièce ou assis serrés sur les bancs d’attente grillagés, militants et acteurs de l’opposition à l’urbanisation du plateau de Saclay sont venus nombreux pour les soutenir. L’entreprise qui avait porté plainte ne s’est finalement pas constituée partie civile et ne demande pas de dommages et intérêts. Elle a malgré tout évalué son préjudice à hauteur de 12 600 euros. Avant de donner la parole aux prévenus, la magistrate tente de les avertir : «Le tribunal ne fait pas de politique», ce qui prime ici, «ce sont les faits, uniquement les faits». Mais comment les expliquer, sans revenir sur «les raisons de [leur] opposition à cette ligne 18 ?» objecte poliment Api, aux longs cheveux retenus en queue-de-cheval. Il sort une feuille de sa veste de costume grise et commence à égrener, «en douze points», les racines de leur colère et de leur lutte.

Pêle-mêle, le voilà qui évoque, «le flagrant déni de démocratie» d’un projet qui cristallise les désaccords, le caractère «indispensable» des terres en voie de bétonisation pour nourrir le territoire et assurer sa «sécurité alimentaire», «les risques», notamment «d’inondation», qui pourraient être entraînés. La juge l’écoute attentivement, prend des notes. Parfois, il s’interrompt, doit reprendre son souffle. Cette lutte qui occupe toute sa vie se heurte bien souvent au silence et aux dénégations. «Bien sûr», lui, comme Léo, reconnaissent les faits. «Nous faisons de la désobéissance civile à visage découvert. Nous assumons nos actes. Si la justice estime que nous devons être condamnés pour nos valeurs, alors soit.» Son coprévenu sera plus succinct. «Je ne conteste pas l’incidence financière pour l’entreprise, je l’entends. Si on a une vision terre à terre, trois heures de blocages constituent un manque à gagner. Mais les terres bétonnées seront perdues à jamais.»

Deux mois de sursis requis

La procureure semble vouloir leur montrer qu’elle les a écoutés. Certes, «le plateau de Saclay est l’espace agricole le plus proche de Paris», riche de «plus de 4 500 hectares classés en zone de protection agricole», ce qui explique «pourquoi l’introduction de ces nouvelles lignes fait débat» et que «des agriculteurs, des élus et des citoyens s’émeuvent de la situation.» «Mais ce n’est pas le rôle de l’institution judiciaire de porter un jugement sur la ligne 18», insiste-t-elle. Il ne s’agit pas, non plus «de faire ici le procès de [leurs] opinions.» «L’objet des poursuites par le parquet, ce n’est pas de dire que ce sont des extrémistes radicaux, qu’il faut trouver n’importe quel moyen pour les faire taire.» Mais si leur action est «légitime», elle «n’est pas pour autant légaleElle a donc demandé au tribunal une condamnation en forme «d’avertissement» à deux mois de prison avec sursis chacun.

Mais pour leur avocat, Me Basile Oudet, «l’élément matériel de l’infraction d’opposition à l’exécution de travaux publics n’est pas constitué». Si ses clients ont bien «bloqué» un chantier pour protester contre l’édification de la ligne 18 du métro Grand Paris, il ne s’agissait pas du chantier de cette ligne mais d’un autre, privé, mené par «l’Eglise catholique». «Peu importe la nature des travaux impliqués, il nous semblait important de sensibiliser les étudiants de l’ENS Paris-Saclay», dont les locaux jouxtent la zone de travaux, a précisé Léo au cours des débats. Me Oudet, qui avait demandé à la magistrate la relaxe de ses clients si jamais ce cas de figure était retenu, a eu gain de cause. Si au contraire, elle considérait que l’infraction était constituée, il l’invitait à prendre en compte «l’état de nécessité» des deux activistes, ayant traduit «leur vrai sentiment d’alerte.»

Mise à jour : ce mercredi, à 14 h 11, avec l’ajout de leur relaxe.