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Justice

Procès de l’accident de Brétigny : la SNCF condamnée, l’ex-cheminot et SNCF Réseau relaxés

Déraillement d'un train à Brétigny-sur-Orgedossier
L’entreprise publique avait comparu huit semaines durant entre avril et juin au tribunal correctionnel d’Evry. L’accident, en juillet 2013, avait causé la mort de sept personnes et fait des centaines de blessés.
Lors de l'ouverture du procès de la catastrophe de Brétigny, qui a réuni 200 parties civiles, le 25 avril au tribunal correctionnel d'Evry. (Cyril Zannettacci/Vu pour Libération)
publié le 26 octobre 2022 à 12h08
(mis à jour le 26 octobre 2022 à 13h26)

Le 12 juillet 2013, en fin d’après-midi, le train Intercités Paris-Limoges n°3657 se couchait sur les voies de la gare de Brétigny-sur-Orge (Essonne), causant la mort de sept personnes et faisant des centaines de blessés. Neuf ans après l’accident ferroviaire, le tribunal d’Evry a tranché ce mercredi sur la responsabilité pénale de SNCF, SNCF Réseau et d’un ancien cheminot. La SNCF a été reconnue coupable et condamnée à une amende de 300 000 euros, plus lourde que les 225 000 encourus, du fait de l’état de récidive légale de l’entreprise en matière d’homicides involontaires, a expliqué la présidente du tribunal, précisant que la SNCF avait réalisé un chiffre d’affaires de 34,8 milliards d’euros en 2021.

Elle a en revanche acté la relaxe des deux autres prévenus : un ancien cadre cheminot, qui avait effectué la dernière tournée de surveillance huit jours avant le drame, et le gestionnaire des voies SNCF Réseau (ex-Réseau ferré de France).

Trois prévenus étaient jugés pour ce drame : la SNCF (héritière pénalement de SNCF Infra, chargée de la maintenance), SNCF Réseau (ex-Réseau ferré de France, gestionnaire des voies) et un ancien cadre cheminot, qui avait réalisé la dernière tournée de surveillance, avec l’objectif de faire la lumière sur ces questions : la SNCF et SNCF Réseau auraient-elles dû renouveler l’appareil de voie plus tôt que prévu ? La vitesse de circulation des trains aurait-elle dû être réduite ? Les effectifs augmentés ? L’ancien cheminot a-t-il manqué de vigilance lors de sa dernière tournée de surveillance ?

Dans son jugement, le tribunal condamne la SNCF pour avoir failli à sa mission de maintenance, comme héritière pénale de SNCF Infra, chargée de la maintenance au moment des faits. Le 12 juillet 2013, le pivotement d’une éclisse, sorte de grosse agrafe joignant deux rails, avait provoqué le déraillement du train. Ce pivotement est, selon le tribunal, la conséquence de l’évolution d’une fissure dans l’un des cœurs de l’appareil de voie mis en cause, une fissure détectée en 2008 mais mal suivie pendant cinq ans.

Cette avarie aurait dû être surveillée annuellement par la SNCF. «Cette négligence du suivi du cœur est en lien certain avec le déraillement», a déclaré la présidente, balayant la défense de la SNCF qui imputait l’accident à un défaut indécelable de l’acier. Si la SNCF avait correctement réalisé ces visites de contrôle, elle aurait «constaté l’état avarié» du cœur «et procédé à son changement», poursuit la présidente.

La magistrate a reconnu que le déraillement avait «indéniablement atteint la SNCF et ses agents, dans le cœur de la grandeur et de la mission de service public qui est la leur : assurer les transports ferroviaires en toute sécurité». Elle a souligné les divers «moyens humains et financiers» mis en place par la SNCF «pour porter assistance et soutien aux victimes de la catastrophe», avant de commencer à lister les dommages et intérêts à verser aux très nombreuses parties civiles.

«Nous sommes moyennement satisfaits», a réagi Thierry Gomes, président de l’association Entraide et défense des victimes de la catastrophe de Brétigny (EDVCB). «Nous sommes reconnaissants de la condamnation de la SNCF, un aboutissement de neuf années de combat, mais nous sommes déçus de la relaxe de la SNCF Réseau qui a une part de responsabilité aussi», a estimé Thierry Gomes, qui a perdu ses parents dans l’accident.

«Puanteur, poussière, sang»

Cette décision vient clore huit semaines de procès, du 25 avril au 17 juin, où cinq semaines avaient été consacrées aux débats techniques. La SNCF avait comparu au tribunal correctionnel d’Evry pour blessures involontaires et homicides involontaires. Pendant huit semaines, le tribunal a tenté d’éclaircir leurs responsabilités. Se sont succédé dans une salle d’audience construite spécialement de nombreux rescapés venus livrer leur récit. Ils ont évoqué des «images de guerre», à l’instar de Philippe. «Des scènes que je ne souhaite à personne de voir un jour.» La façon dont ils se sont «fermés» après l’accident, une «façon de se protéger», témoigne Alexandra, «comme si je n’avais pas été dans ce train».

Mi-juin, le procureur commençait ses réquisitions en s’adressant aux 200 parties civiles du procès : «Bruit, crissements, effroi, hurlements, puanteur, poussière, sang : ce sont vos mots.» Il avait requis la peine maximale contre la SNCF, soit 450 000 euros d’amende, du fait de la récidive légale. La SNCF a «créé le contexte à l’origine de l’accident» par un «échec dans la chaîne de maintenance», affirmait le procureur, assumant qu’une telle condamnation «jettera l’opprobre et le discrédit» sur l’entreprise publique.

En revanche, le parquet d’Evry avait demandé la relaxe pour le gestionnaire des voies, SNCF Réseau, jugé pour homicides involontaires et blessures involontaires, ainsi que pour l’ancien cheminot qui avait réalisé la dernière tournée de surveillance, qui encourait jusqu’à trois ans d’emprisonnement.

Mise à jour : cet article a été actualisé à 13h26 avec des précisions sur l’amende et les réactions des victimes